un regard et des choix – forcément subjectifs – sur l’offre culturelle 2023…
#livres : Antigraffitisme (Jean-Baptiste Barra & Timothée Engasser)
#cinéma : Maîtres (Swen de Pauw), @26e Festival du film de Colmar, Ceux de la nuit (Sarah Leonor)
#expositions : Doris Salcedo (Fondation Beyeler, Riehen), Le temps s’enfuit sans disparaître (La Filature, Mulhouse), Abdelkader Benchamma, Géologie des déluges (Fondation Schneider, Wattwiller), Andrea Büttner, Der Kern der Verhältnisse (Kunstmuseum Basel – Gegenwart) Giacometti/Dali – Jardins de rêves (Kuntzhaus Zürich), @art KARLSRUHE 2023, Les 40 ans des Éditions Bucciali (Colmar), Joseph Bey (Courant d’art, Mulhouse), Shirley Jaffe, Form als Experiment (Kunstmuseum Basel), Wayne Thiebaud (Fondation Beyeler, Riehen), Trans(e)galactique (La Filature, Mulhouse), @Silvère Jarrosson/L’Œuvre qui va suivre (musée Unterlinden, Colmar), Anna Malagrida/L’Attente (La Filature, Mulhouse) /// vernies en 2022 : Marcelle Cahn/En quête d’espace (Musée des Beaux-Arts, Rennes)
#théâtre, danse : répétition Music for 18 musicians (Filature, Mulhouse), @Saison 2023-24 (Espace 110, Illzach), @Saison-2023–2024 (Opéra national du Rhin), @Music for 18 musicians (S. Reich/S. Groud), L’Incoronazione di Poppea (Monteverdi/Pichon & Titov), Hen (J. Bert), The Bacchae (Euripide/Papakonstantinou), Célèbre la terre pour l’ange (musée Unterlinden, Colmar), @Festival Vagamondes (La Filature, Mulhouse), Le Dragon (Schwartz/Joly), Des femmes qui nagent (Peyrade/Capliez), Vessel (Jallet, Nawa), Das Weisse vom Ei (Labiche/Marthaler), @Quinzaine de la Danse (Mulhouse & env.)
@avant-papier sur présentation de presse et documents remis
Sur la page d’accueil, des informations actualisées sur les évènements encore accessibles.
εphεmεrides 2022 • 2021 • 2020 • 2019 • 2018
suturer la fragilité du monde
Doris Salcedo
#EXPOSITION
Riehen (Bâle), Fondation Beyeler du 21 mai 2023 au 17 septembre 2023
tous les jours de 10h à 18h (20h mercredi, 22h vendredi)
commissariat : Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, et Fiona Hesse
beau catalogue – exhaustif sur Salcedo – en anglais, 256 p., 58 €

La Colombie est un pays violent par la politique, par la criminalité : FARC, cartels de la drogue, groupes paramilitaires, forces gouvernementales… avec la nécessité pour la population de survivre à leurs affrontements, exactions et collusions. Dès 1948, l’assassinat de Jorge Eliécer Gaitán, dirigeant du parti libéral, ouvrait la période dite « La Violencia » (1948-60) et le désarmement des FARC fin 2016 n’a qu’imparfaitement pacifié le pays. Doris Salcedo est née dans cet « épicentre de catastrophes », Bogotá, et toute son œuvre est traversée par cette brutalité aussi sauvage qu’impitoyable.
La Fondation Beyeler a réuni une centaine de ses pièces pour huit installations.
Pour l’artiste, chaque œuvre, chaque installation est l’écho d’un drame, d’un crime… et aussi d’une plongée en enfer, car elle enquête et se confronte aux survivants, aux proches des victimes, aux témoins. Dans son travail d’élaboration (qui est aussi d’inventivité et d’imagination : rien n’est jamais au premier degré comme chez un photographe de presse qui shoote le sang et les ruines), elle s’immerge dans la matérialité de la violence et de ses effets induits, y déniche souvent les matériaux concrets de ses installations pour en exprimer la quintessence et partager la stupeur absolue devant la possibilité de cette barbarie, souvent institutionnalisée.
Je ne travaille pas le bronze ou le marbre, mais des matériaux plus ordinaires. Ils vous montrent à quel point l’être humain peut être fragile. Je parle de la fragilité d’une caresse passagère. Si nous étions capables de comprendre cette fragilité inhérente à la vie, nous serions peut-être de meilleurs êtres humains.
création collective
Le long temps préparatoire, la mise en œuvre collective (souvent), l’investissement d’un lieu emblématique (quelquefois) rappellent le process de fabrication de Christo & Jeanne-Claude, sauf que Salcedo déballe, met le doigt là où ça fait mal. Et cela fait d’autant plus mal qu’entre la métaphore, l’allusion et surtout cette toute féminine délicatesse – sans avoir l’air d’y toucher –, l’émotion infuse le visiteur doucement par la beauté des œuvres : ce jeté de fleurs de A Flor de Piel (2011–14) – à fleur de peau –, cette impalpable résille de Disremembered (2014–15 & 2020–21)… L’objet, leur accumulation imposent un silence recueilli qui ressuscite la mémoire, puis entrent en résonance jusqu’à l’insupportable, comme le crissement de la craie sur un tableau noir, noir comme cette partie de notre (in)humanité capable des actes dont témoignent ses installations.
Son geste artistique est toujours d’une rare et pertinente intelligence : ces noms liquides qui s’écrivent, s’assèchent, puis coulent à nouveau comme des larmes qu’il est impossible d’étancher (Palimpsest, 2013–17), ce martèlement à la masse (par les victimes elles-mêmes) des armes des FARC (acte cathartique quelque part, Fragmentos*, 2018), cette opposition de la fragilité indicible de la soie phagocytant de fines aiguilles (Disremembered), cette récurrence du fil chirurgical et des sutures qui sont réparation et liens, mais affirment en creux les aiguilles, le percement de la chair. Un jeu de contrastes saisissant qui rameute la douleur, lui donne sens et suggère qu’elle peut aussi guérir. La souffrance n’est pas toujours vaine…
guérir l’humanité ?
Doris Salcedo n’est pas dupe : Nous ne savons pas et ne voulons même pas pleurer les vies sans valeur pour nous (2018).
Cependant elle persiste à donner une présence à cette infrahumanité (migrants, disparus, victimes…) maintenue dans les marges et, comme un testament de leurs blessures, brandit l’arme du beau : cette dichotomie entre l’inimaginable violence et cet indicible que font vivre ses pièces. Pourtant elles savent être fermes – béton de Untitled, 1989 – voire monumentales – les 400 m2 de Palimpsest – ou incontournables – les 800 m2 en plein centre de Bogotá de Fragmentos*. Avec la logique de séries, elles proclament le nombre – celui des victimes (presque toujours plusieurs dizaines de milliers) –, mais multiplient aussi les indices d’espoir.
Si ses œuvres s’écrivent en volume, leur surface aussi parle : la peau de A Flor de Piel, de discrètes broderies ou couleurs affleurant de la laitance sédimentée du béton (Untitled, 1989), ces brins d’herbe si graciles émergeant des interstices de tables ayant la dimension de cercueils (Plegaria Muda, 2008–10), ces peaux floutant les chaussures de disparus devenus fantômes (Atrabiliarios, 1992–2004), cette matière comme amidonnée de chemises figées sur leur pal (Untitled, 1989–93).
anonymat
Si Doris Salcedo n’a pas de grand discours philosophique (mais elle en lit et s’en inspire), elle ajoute avec son travail cette pierre angulaire à la banalité du mal : l’anonymat, un moyen institutionnel d’évacuer ceux qui dérangent, une forme de nihilisme du système qui prospère quand la violence est endémique. Avec ce silence radical synonyme d’absolue indifférence, cet exercice du pouvoir ouvre des cicatrices bien palpables.
L’artiste colombienne s’en fait l’archéologue et y oppose la pénétrante acuité de ses œuvres nourries d’une active Humanité. Celle d’un « être Humain » !
* pièces non exposées, mais documentées dans le catalogue
chaos joyeux
répétition Music for 18 musicians (S. Reich/S. Groud)
#MUSIQUE & DANSE
La Filature (Mulhouse), Theater Basel & Theater Freiburg
3 représentations les 3, 8 & 10 juin 2023
OsM+Ensemble Links dirigé par Rémi Durupt, mise en mouvement de Sylvain Groud
Quelques images de la répétition une semaine avant la 1re représentation du spectacle.
Une atmosphère de chaos joyeux (et hypnotique) pour tous les participants.
Une implication très sérieuse – quand même – de la quarantaine de volontaires qui seront sur scène avec les danseurs du Ballet du Nord (Lauriane Madelaine, Julien-Henri Vu Van Dung, Julien Raso, Martin Grandperret, Perrine Gontié) pour ce spectacle participatif donné le 3 juin à La Filature, Mulhouse. Ils seront rejoints par leurs homologues Fribourgeois et Bâlois préparés de la même façon.
Générale la veille dans le lieu, avec deux autres représentations : le 8 juin à Bâle & le 10 juin à Fribourg.
Minibus, tsunami, marche impériale et bien sûr samba : des images évocatrices pour partager les gestes, les déplacements de la mise en mouvement imaginée par Sylvain Groud sur la musique de Steve Reich.
La semaine avant, Julien Raso et Martin Grandperret avaient déjà transmis l’ensemble de la chorégraphie. Samedi, ils se concentraient sur le rythme, les échanges (de regards !), la netteté des mouvements et la prise en compte du… chaos !
répétition du samedi 27 mai (13h30–19h, 2 groupes) à la Filature, Scène nationale de Mulhouse
Métamorphoses
Espace 110, Illzach | Saison 2023-24
#THÉÂTRE, DANSE, MUSIQUE
Espace 110, Centre Culturel Illzach
abonnements et billetterie à partir du 31 mai
inscriptions pour les activités à partir du 12 juin

Présentation vitaminée de la saison 2023-2024 de l’Espace 110 par Thomas Ress et son équipe. Une programmation ancrée au cœur de la cité : elle inscrit des moments forts* dans le calendrier et les prolonge par des activités, des projections ou des propositions de la bibliothèque… Un acteur important et réjouissant de la vie locale en lien avec le territoire (partenariats avec La Filature Mulhouse, la Passerelle Rixheim, la Coupole Saint-Louis, le Créa Kingersheim, la Comédie de Colmar) qui contribue au rayonnement d’Illzach qu’amplifieront les fruits des sept compagnies accueillies en résidence.
Et dans ce monde qui bouge et change, une envie de Métamorphoses s’affiche en marqueur de cette nouvelle programmation.
* Nuit d’été (dès le 17/06), Quinzaine de l’Amateur des arts, Scènes d’automne en Alsace, Bédéciné (38e édition), En attendant Noël, Quinzaine de la danse
Avec sept créations au fil de la saison, des compagnies réinvitées, les résidences, une attention à la « scène locale » et des habitués, pas moins d’une douzaine d’artistes étaient présents et ont évoqué leur envie de spectacle, de partage, d’émotions et leur enthousiasme.
La délicatesse et l’inspiration de l’iranienne Sayeh Sirvani, la première à intervenir, séduisent d’emblée. Elle bénéficie d’une des résidences pour son prochain spectacle et jouera sa création 2021 : L’ivresse des profondeurs (théâtre d’objets, costumes et marionnettes, le 29/09). Trois femmes en exil, en errance, magnifiées par l’apesanteur. Le texte du programme s’achève par ces mots :
Il y a cette planète inconnue, où, même si elle est notre terre, on ne reconnaît plus rien. Et puis cette planète sur laquelle on se rend et où l’on se retrouve « l’Autre », comme un extra-terrestre.
Ça pourrait (déjà) être la conclusion.
Mais il y a encore deux dizaines de propositions…
Un concert : Gustine (3/10).
Des spectacles pour les plus jeunes (mais pas que) : Charcoal (dès 2 ans), Apö, Les 3 Brigands (d’après Ungerer), Pister les créatures fabuleuses, Indomptable, et puis, en mai, à vivre dans le pré (et en famille) : L’Amour médecin (Molière), L’envers des mousses (immersion sensorielle à la tombée du jour).
Du théâtre d’objets et/ou de marionnettes : Devenir (théâtre documentaire à partir de journaux intimes d’adolescents), Regarde-moi (une version psychédélique du mythe d’Orphée avec musique, danse…), Nature Morte / Still Life (inspiré d’À Rebours de Huysmans).
De la danse, avec Les Feux de la Rampe juste avant la Quinzaine en mars : Kamuyot, Body Bagarre_le jeu, et sur glace à la Patinoire Olympique de Mulhouse, Murmuration.
Du théâtre avec les Scènes d’Automne : Adieu mes chers cons (car les apparences ne sont pas toujours trompeuses…), Maryvonne (une jeune femme avec sa grand-mère en dialogue et en regards).
Trois créations : Histoire d’amour (derniers chapitres) du regretté Jean-Luc Lagarce (1991), Les lettres d’amour de la religieuse portugaise (le classique du XVIIe revisité) et Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? (inspirée d’une polémique qui a enflammé les réseaux en 2014)
Et quatre productions invitées : J’aime (pour tenter de s’apprivoiser soi-même), Pour Quoi Faire ? (ou comment s’affranchir d’une faille temporelle), L’Enfant de verre (en partenariat avec Momix), L’Araignée (confession d’une fonctionnaire chargée des Mineurs Non Accompagnés).
L’ambition selon les mots du directeur Thomas Ress est de « tout dire par la forme » grâce à des spectacles qu’il revendique « élitiste pour tous » !
Abonnements et billetterie pour la saison 2023-2024 à partir du 31 mai.
preuves à (dé)charge
Le temps s’enfuit sans disparaître
#EXPOSITION
galerie de La Filature, Scène nationale de Mulhouse du 26.05 au 9.07.2023
commissariat : Emmanuelle Walter

L’exposition quoique collective restitue le travail de Cassandre Fournet et Gaëtane Verbruggen, lauréates du Prix Filature 2019 et de Rémy Hans, lauréat 2021. Elle se déroule en lien avec Mulhouse 023, biennale de la jeune création contemporaine (du 10 au 13 juin à Motoco).
Pour une fois, le dessin prend le pas sur la photographie. C’est le point commun de ces huit artistes de la jeune génération, mais qui travaillent, le plus souvent, d’après photo : un moyen qui permettait de rapporter un sujet dans le lieu de confinement, mais aussi ceux qu’il est impossible de documenter autrement.
Une exposition qui interpelle aussi la figuration.
Elle s’ouvre avec un binôme revendiqué (même atelier, même site Internet) : Capucine Merkenbrack restitue le corps par fragments – un jeu de couleurs et d’os –, sa camarade Chloé Tercé croque des personnages en jouant sur le décalage, l’antinomie et les reproduit en risographie (un dispositif d’impression respectueux de l’environnement inventé en 1946 et commercialisé à partir de 1958).
En face, les enfants que dessine Jo Kolb sont très vite dérangeants par l’assimilation du sujet et de ses gadgets – qui phagocyte qui ? Mais l’artiste l’assure : tous ces portraits sont faits d’après photo. Sa façon de valider l’artificialisation en cours de l’humanité ?
La contamination du quotidien par le consumérisme touche aussi Chloé Charrois qui a manifestement une fascination pour les gadgets. Souvent liés à des souvenirs d’enfance, elle les resitue de façon ludique s’autorisant des collages sur certains.
Adepte de la miniature, Gaëtane Verbruggen affiche des vues de hangars industriels ou d’intérieurs marouflées sur bois. Des dessins discrètement colorés, à peine plus grand qu’une carte postale, avec des éclairages rappelant le clair-obscur hollandais. La série évoque des hublots vers des lieux vastes et troublants : ceux d’un crime ? Des espaces liés à l’inquiétante étrangeté assurément…
Rémy Hans semble discret – la matière diaphane de ses voiles transparents bleu, ses sujets perdus sur de vastes supports –, pourtant il s’empare de l’espace de la toile comme de sa part de galerie : une dissonance affirmant la force et la fragilité des souvenirs ?
Profusion et diversité avec la précision botanique des herbes folles de Cassandre Fournet, qui colonisent la netteté industrielle des (micro) espaces urbains s’amusant avec la couleur quand l’appropriation est humaine (fresque).
Les nombreux météores et quelques satellites d’Iva Šintić sont réalisés d’après photos – forcément. Sa patte hédoniste fait chatoyer cette obscure immensité, mais s’attarde aussi sur le trouble du ciel avec un chaos façon Elon Musk. Pour suggérer que le chaos est surtout d’origine humaine ?
L’ampleur et la précision des encres d’Emmanuel Henninger achèvent l’exposition en grand. Notamment deux panoramas des mines de Hambach et Garzweiller (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) avec un choix fort : laisser en blanc l’empreinte humaine. Son travail est très documenté (repérages, photos, croquis…) avec la volonté de multiplier les points de vue sur le sujet. Le prochain sera de dessiner le lieu où tout se joue : le Bundestag, un hémicycle avec ses gradins comme ces mines à ciel ouvert…
Au-delà de la photo (qui peut aussi être retouchée…) se pose la question de la restitution du réel. Souvent les choix de l’artiste quand il fabrique ses images font émerger une réalité plus réelle et palpable qu’une documentation « authentifiée » qui met à distance la vitalité du sujet.
L’acte de dessiner de Jo Kolb produit un regard affûté par l’artiste et donc une interrogation plus dense sur cet univers que ne le feraient les photos originales.
La blessure dans le paysage apparaît d’autant plus démesurée sur les encres d’Emmanuel Henninger que les zones blanches évacuent autant les énormes excavatrices (Bagger 288) que la fascination technologique.
D’ailleurs par crainte du fichage, les Zadistes ont refusé d’être dessinés. Dans la société de surveillance, même les dessins peuvent devenir des preuves…
dopo l’apocalisse
Abdelkader Benchamma, Géologie des déluges
Fondation François Schneider, Wattwiller
#EXPOSITION
Wattwiller, Fondation François Schneider du 13 mai au 24 septembre
du mercredi au dimanche de 11h à 18h
commissariat Marie Terrieux

Abdelkader Benchamma s’intéresse depuis fort longtemps à l’infiniment grand et s’efforce de le faire entrer dans l’exiguïté de la toile, du papier ou de l’espace qui accueille ses expositions et sur lequel il lui arrive d’intervenir directement. Ainsi Écho de la naissance des mondes à l’automne 2018 au Collège des Bernardins où Marie Terrieux, directrice de la Fondation François Schneider et commissaire de l’exposition, a découvert son travail. Peu après elle lui a proposé d’investir les 1 200 m2 de la Fondation aboutissant à cette Géologie des déluges conçue spécialement pour le lieu.
Des épisodes diluviens hantent la plupart des mythologies, de l’Asie à l’Amérique latine, des textes mésopotamiens à la Bible en passant par le Mahabharata indien, le Shanhaijing chinois ou le Coran sans oublier les traditions animistes. Comme si un cataclysme aquatique avait bouleversé la planète semant le chaos, se gravant dans les mémoires collectives, le bouche-à-oreille transformant progressivement une traumatique épopée géologique en mythes. Si le déluge biblique est punitif, sous d’autres cieux il peut être (re)fondateur.
Entre documentation scientifique et livres sacrés, Abdelkader Benchamma explore cette cosmogonie et la transcrit en récits picturaux, en paysages mentaux. Il utilise beaucoup l’encre de chine quelquefois rehaussée par l’acrylique surtout dans ses interventions in situ au rez-de-chaussée. Pour y inscrire ses Lignes de rivage, il a occulté certaines fenêtres vers les Vosges et a installé en regard des modules autoportants de placoplâtre : des fonds pour ses motifs à la fois tourmentés et hédonistes couvrant les surfaces visibles du visiteur qui pénètre dans la salle, se limitant à de petits paysages sur certains flancs face au jardin. Son dispositif évoque les îles karstiques et les pitons rocheux de la baie d’Ha Long et, s’il se referme sur lui-même côté ouest, il se prolonge harmonieusement au dehors côté jardin par Le Mont d’ici (Sylvie de Meurville, 2011–2013).
Ces tertres se veulent aussi l’émergence des « dessous » engloutis par les eaux. Si les dominantes bleues rehaussent l’habituel noir et blanc de l’encre, elles peinent à donner cette vitalité liquide d’une eau physiquement présente – comme le délicat bassin aux céramiques de Céleste Boursier-Mougenot (clinamen v.6, 2012–2019) ou l’omniprésence sonore du Refuge de Stéphane Thidet (Nos îles en 2022).
Le long palier en contrebas affiche des petits formats inspirés du Kometenbuch (Livre des comètes, 1587) rappelant que les comètes seraient à l’origine de l’eau sur terre. Des enluminures fines et délicates que prolongent de plus grands formats au niveau moins un : Géologie des déluges & Retraite des eaux avec une version chinoise de la catastrophe.
Au sous-sol (–2), la Grotte Céleste ouvre vers un autre univers, sombre et mouvant : tréfonds, cavernes, mais aussi planètes en révolution. Ce qui, possiblement, a été englouti… ou épargné. Les sources et les fascinations d’Abdelkader Benchamma s’affichent ici et tissent le lien avec d’autres arts visuels : la bande dessinée et le cinéma. Il cite 2001, l’Odyssée de l’espace, mais il y a aussi cette couveuse qu’explore l’équipe d’Alien… Dans les vidéos, se devinent des traces d’humanité : discrètes fourmis, de petits personnages s’y affairent. Plus loin il présente les planches de son livre d’artiste Random (2014) proche du 8e art tout en s’abstrayant de ses règles trop strictes (cases, scénario…). Le goût du chaos est palpable avec l’ambition de l’élever au rang de mythe et comme préalable à un autre monde auquel l’artiste a envie de croire. Cependant comme le suggère Nietzsche : La civilisation n’est qu’une mince pellicule au-dessus d’un chaos brûlant.
un autre monde…
Opéra national du Rhin, saison 2023–2024
#OPÉRA & DANSE
Opéra national du Rhin (Strasbourg), La Filature (Mulhouse), Comédie de Colmar & Théâtre Municipal (Colmar)
plus de 200 levers de rideau de septembre 2023 à juillet 2024
Rêver d’un autre monde, c’est l’invitation que souhaitent porter les propositions de la nouvelle saison de l’Opéra et du Ballet du Rhin que présentaient Alain Perroux & Bruno Bouché le mercredi 10 mai. Pour prolonger cette envie, ils annonçaient d’ailleurs un festival Arsmondo consacré aux Utopies au printemps 2024.
Ouverture des abonnements le jeudi 11 mai jusqu’à tout début septembre (entre 10 et 40 % de réduction par rapport à l’achat de places à l’unité).
Billetterie à l’unité à partir du 5 septembre à 10 h.
Rendre compte d’une programmation est un exercice subjectif, mais aussi l’occasion d’évoquer des promesses.
Côté opéra, une création française presque trois siècles plus tard : Polifemo de Nicola Porpora (février-mars). Créé en février 1735 au King’s Theatre de Londres, cet opera seria a été spécialement écrit pour (s’attacher) les stars de l’époque, les castrati Senesino (Ulisse) et Farinelli (Aci), mais aussi la Cuzzoni (Galatea), la Bertolli (Calipso) et la basse Antonio Montagnana (Polifemo) dans la rivalité tant musicale que financière et de notoriété qui opposait Porpora à Haendel. L’assurance d’un feu d’artifice vocal avec le sopraniste Franco Fagioli en Aci, Paul-Antoine Bénos-Djian en Ulisse et Madison Nonoa en Galatea, mais aussi orchestral avec le Concert d’Astrée (étoffé pour l’occasion : Porpora ne lésinait pas sur les moyens) dirigé par Emmanuelle Haïm dont la formidable et intelligente énergie est connue. Le livret (prétexte) mêle les amours d’Acis et Galathée (dont Polyphème est aussi amoureux) et les démêlés malheureux du cyclope avec Ulysse qu’il retient prisonnier. Après une première moitié plutôt pastorale, l’opéra s’emballe avec les prouesses vocales (notamment le Nell’attendere il mio bene d’Aci avec un orchestre chatoyant) et aussi d’envoûtants petits ensembles. Pour découvrir l’œuvre intégrale (les amateurs la connaissent par l’air d’Aci : Alto giove) et lui trouver une cohésion, le metteur-en-scène Bruno Ravella jouera la carte du peplum.
Côté danse, une création d’après le polar écrit par Horace McCoy en écho à la crise de 1929 : On achève bien les chevaux (mars-avril). Un choix de Bruno Bouché pour ajouter une pierre à sa réflexion sur la danse au XXIe siècle qui lui donnera l’occasion de réunir danse et théâtre avec La Compagnie des Petits Champs de Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro (32 danseurs, 8 comédiens & 4 musiciens) : rester dans le siècle (qui a ses propres crises…), tout en interpellant la tradition du ballet dans une pièce où la danse est poussée jusqu’à l’absurdité. Jusqu’à la folie ? Un pari passionnant avec un enjeu dramaturgique : passer du roman à la scène (se frotter aussi à un autre monument cinématographique – Sydney Pollack) et ouvrir vers un autre monde… qui n’est pas d’ici-bas chez McCoy.
Le Ballet de l’OnR prend de l’ampleur après le beau et récent succès des Ailes du désir au Châtelet (29.03-1.04) avec pas moins de six propositions et une attention à la nouvelle génération de chorégraphes, sans compter sa participation à la programmation de la Filature : Quinzaine de la danse (mars) et Ballets européens (avril).
Il proposera deux autres créations – Sérénades (janvier), Spectres d’Europe (juin) – et des reprises – Danser Schubert au XXIe siècle (octobre-novembre), Chaplin pour les fêtes (décembre), Kamuyot pour le jeune public (projet de territoire).
Trois grands classiques absents depuis (fort) longtemps de la scène locale seront construits autour de stars : Lakmé pour la soprano colorature Sabine Devieilhe (novembre), Lohengrin pour le ténor Michael Spyres (son premier rôle wagnérien, mars-avril) et Norma pour Karine Deshayes (prise de rôle, juin).
Une rareté sera redonnée pour la 1re fois en France depuis sa création en 1931 : Guercœur d’Albéric Magnard avec le baryton Stéphane Degout dans le rôle-titre (mai).
En décembre et janvier, Matthieu Crucciani mettra en scène Le journal d’Hélène Berr de Bernard Foccroule, un monodrame lyrique pour voix, piano et quatuor à cordes créé en version de concert cette saison (Cherbourg-en-Cotentin, Paris…).
Les jeunes chanteurs de l’opéra studio de l’OnR s’empareront d’un hit du Broadway off : Les Fantasticks d’Harvey Schmidt dans une nouvelle traduction française (tournée Grand Est).
L’habitué retrouvera bien sûr les Récitals, Heures lyriques, etc.
La saison s’ouvrira avec la traditionnelle création mondiale dans le cadre de musica (en coproduction avec l’Opéra royal du Danemark) : Don Giovanni aux enfers de Simon Steen-Andersen (septembre) qui débute là où finit celui de Mozart, du théâtre musical dans les enfers lyriques avec un dispositif vidéo qui plongera le spectateur dans les entrailles de l’opéra.
Liens vers les abonnements & la programmation détaillée.
(ré)inventer la démocratie culturelle
Music for 18 musicians (S. Reich/S. Groud)
#MUSIQUE & DANSE
La Filature (Mulhouse), Theater Basel & Theater Freiburg
3 représentations les 3, 8 & 10 juin 2023
Trois villes, trois théâtres s’engagent pour la musique contemporaine et une proposition de partage culturel lors d’une conférence de presse au plateau particulièrement relevé : l’adjointe à la coopération transfrontalière et aux relations internationales Emmanuelle Suarez (Mulhouse), les adjoints à la Culture Werner Hanak (Bâle) et Ulrich von Kirchbach (Fribourg) pour les politiques. Un soutien très apprécié des acteurs artistiques : Anja Dirks (Theater Basel), Graham Smith (Theater Freiburg), Benoît André (La Filature), Guillaume Hébert (OsM) et (en visio) l’équipe artistique en charge du projet : Sylvain Groud (Ballet du Nord), Rémi Durupt et Laurent Jacquier pour l’ensemble Links.
Le projet est ambitieux, mais devrait s’inscrire plus naturellement (et plus souvent) dans notre bassin trinational, surtout dans le domaine culturel : une coproduction de La Filature et des théâtres de Bâle et Fribourg. La culture doit être synonyme d’ouverture, d’altérité, d’échanges et d’abolition des frontières : ce que veut résolument incarner et partager cet évènement.
L’autre ambition est la sensibilisation de nouveaux publics grâce à sa dimension participative : les jeunes (mais pas que) et ceux éloignés de la culture notamment de la musique contemporaine trop rapidement jugée élitiste.
Au programme Music for 18 musicians de Steve Reich chorégraphiée pour une centaine de danseurs. Une pièce culte de la musique répétitive créée en 1976, une œuvre hypnotique jusqu’à la transe qui figure au répertoire de l’ensemble Links depuis quelques années et nécessite à elle seule un dispositif déjà impressionnant – notamment quatre pianos – auquel s’associeront pour l’occasion onze instrumentistes de l’Orchestre symphonique de Mulhouse.
Chaque théâtre recrutera via ses réseaux une trentaine de danseurs qui répéteront sous la direction du chorégraphe Sylvain Groud.
Les trois troupes et les musiciens se retrouveront pour une générale dans chaque lieu la veille de la représentation.
La pièce Eight Lines également de Steve Reich sera donnée en amont de Music for 18 Musicians.
La manifestation fera pulser
La Filature le sam 3 juin à 19 h,
le Theater Basel le jeu 8 juin à 20 h 30 &
le Theater Freiburg le sam 10 juin à 19 h 30.
archéologie des cicatrices
Andrea Büttner, Der Kern der Verhältnisse
Kunstmuseum Basel – Gegenwart, Hauptbau, Neubau
#EXPOSITION
Kunstmuseum Basel – Gegenwart, Hauptbau, Neubau du 22 avril au 1er octobre
Andrea Büttner, Au cœur des relations | commissariat Maja Wismer
catalogue à paraître en juin (Deutsch, Englisch, 384 p., 58 CHF)
du mardi au dimanche de 10h à 18h (jusqu’à 20h le mercredi)

Au Gegenwart, le Kunstmuseum Basel propose jusqu’au 1er octobre la plus importante rétrospective jamais consacrée à l’artiste berlinoise Andrea Büttner avec plus de 90 œuvres regroupées en six fils narratifs. Son geste artistique prolonge son exigeante attention aux faits sociétaux notamment aux rapports de pouvoir ou aux ambivalences qui se cachent dans les (demi-)vérités établies. Chaque fois, elle utilise le média le plus pertinent pour les rendre puissamment visibles, de la gravure à la vidéo en passant par la sculpture, la photo ou l’installation.
Le point d’entrée de son travail pourrait être ses grandes gravures sur bois qui jalonnent sa carrière et les cimaises du musée. Sous une apparente simplicité, le format ample s’oppose au trait économe, net et nerveux s’autorisant quelquefois un ornement – au sens musical : une vibration suscitée par le matériau qui élargit la trace de l’outil (cf. série Beggars, 2015 | 9). S’en dégage une impression de puissance et l’énergique morsure de la gouge renvoie au geste lourd du travailleur récoltant les asperges (Erntende, 2021 | 7). Chez elle, les mains incarnent intensément le rapport au monde même quand il est virtuel avec ces traces bien concrètes laissées sur les écrans (Phone etching, 2015 | 2). La logique de série avec la multiplication des pièces – et donc des efforts – amplifie la rugosité du labeur de l’ouvrier représenté comme celui de la graveuse qui se l’approprie et renvoie à Kunstgeschichte des Bückens (Histoire du corps courbé dans l’art, 2021, diaporama | 1).
Le bois est un choix revendiqué, c’est le matériau de beaucoup de ses sculptures (Spargel, 2021 | 7), un élément structurant de ses installations (Benches, 2012-18 | 4, ou de la présentation des Vases, 2021 | 6), celui de la croix aussi. De telles constantes, entre métaphore et présence palpable, balisent son œuvre : ainsi le marron du rez-de-chaussée ou derrière les Vases : allusion à la terre, au chocolat ou aux excréments, à la bure de Saint-François comme aux chemises brunes… ou les Bread Painting, (fixés sous verre, 2015 | 10) qui dialoguent avec les miches de la Cène, de la multiplication des pains ou de banquets. Une volonté de s’ancrer dans la profondeur d’un quotidien atavique, de tisser aussi le lien entre art et artisanat (cf. aussi Vase ou ces parterres photographiées ou plantés Moss Garden, 2014 | 8).
Les croix noires rythmant l’accrochage du 2e étage, au-delà de leur symbolique, renvoient aux vidéos qui interrogent la religion, plus précisément le lien entre l’ambition spirituelle affichée et l’environnement profane : Little Sisters : Lunapark Ostia, 2012 (HD video, 42 min | 4) ou What is so terrible about craft ? 2019 (double-channel video 32 min | 8). Dans cette dernière, elle joue sur une logique de confrontation par le multi-écrans. Mais là où Abel Gance avec son Napoléon fabriquait de l’épique, du traitement narratif de Büttner transpirent les étincelles du mensonge… l’immuable structure de la communication qui, fallacieusement, peint toujours le produit en beau.
Une logique déjà utilisée pour Shepherds and Kings, 2017 | 9. Quelquefois elle n’a même pas besoin d’insister sur la dichotomie, il lui suffit de nommer : Auschwitz et ses parcelles biodynamiques cultivées par les nazis ou le Carmel de Dachau | 6.
De sa formation de philosophe, elle garde le goût de propositions plus ouvertement didactiques : une édition illustrée de la Kritik der Urteilskraft de Kant (Critique de la faculté de juger, 2014 | 3) ou la collision de photographies noir et blanc (portraits, paysages) avec des citations de Simone Weil (Die gefährlichste Krankheit | 5).
Sa création la plus récente Schamstrafe, 2022-23 | 3, repensée pour l’exposition décline des représentations anciennes et actuelles de châtiments publics. Des impressions sur le mur ayant la discrétion de traces laissées sur le sable : leur évanescente fluorescence démultiplie la honte du corps châtié ou de l’impudique exposition infligée par les réseaux sociaux.
Rien ne distingue les souvenirs des autres moments. Ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître. À leurs cicatrices. écrivait Chris Marker pour La jetée (1962).
Avec une vigilance exacerbée, Andrea Büttner dresse un inventaire de nos cicatrices collectives, celles des plaies d’hier ou de demain gravées dans nos corps, comme dans l’espace de nos vies.
Les | n° renvoient au Plan de salles (pdf en anglais) :
=> Gegenwart rez-de-chaussée salles 1 & 3, passages sur la rivière salles 2, 2e étage salles 4 à 8 ;
=> passage du Hauptbau vers le Neubau salle 9 ;
=> Hauptbau 1er étage, collection XVe – XIXe siècles, salles 10.
art KARLSRUHE 2023
édition du 20e anniversaire du 4 au 7 mai
#SALON
Messe Karlsruhe – Messeallee 1 / D-76287 Rheinstetten
le week-end du 4 au 7/05/2023 de 11h à 19h (18h le dim 7)
entrée 23 € (en ligne) ou 25 € (caisse), tarifs réduits à partir de 18 €

La particularité d’art KARLSRUHE, depuis sa création, est de proposer des œuvres aux prix abordables pour des budgets modestes tout en accueillant des têtes d’affiches aux prix atteignant les sept chiffres. « La foire ne s’adresse pas uniquement aux collectionneurs de longue date mais cherche également à toucher un public jeune […]. Cela vaut à art KARLSRUHE la réputation d’être la foire la plus « démocratique » de l’espace germanophone » selon Olga Blaβ, actuelle directrice de projet, future codirigeante de la foire.
Cette édition sera l’occasion d’un hommage au galeriste Ewald Karl Schrade, fondateur et commissaire historique de la foire (ce sera sa dernière édition), avec une carte blanche de 400 m2 où il présentera des œuvres issues de sa collection personnelle (Georg Meistermann, Walter Stöhrer, Erich Heckel, Karl Hubbuch, Samuel Shapiro, Bernd Zimmer, Lore Bert, Cornelia Schleime, Marion Eichmann, Antonio Marra, HA Schult, Christopher Lehmpfuhl, Willi Siber…).
Les artistes seront représentés par 207 galeries (160 venant d’Allemagne et 47 de 14 autres pays dont Séoul).
Hall 1 gravures et estampes, Hall 2 l’art d’après 1945, Hall 3 mise en résonance de l’art moderne avec l’art contemporain, Hall 4 l’art actuel dans le cadre du concept Contemporary Art21. Les dates permettront également de présenter dans le vaste patio central le Jardin de sculptures.
La rive gauche du Rhin y aura quelques ambassadeurs.
Radial Art Contemporain, galerie strasbourgeoise, fera son retour à Karlsruhe et présentera Alain Clément, mais aussi Frank Fischer, Ewerdt Hilgemann, Bodo Korsig et Lars Strandh.
La Galerie Pascale Froessel reste une habituée avec Jean Remlinger, Bernard Buffet, Duvan, Thierry Loulé et Klaus Stöber.
De son côté, la Galerie Zaiß (Aalen) accueillera Michel Cornu, Marc Felten, Raymond Emile Waydelich et bien sûr ses artistes allemands Norbert Klaus, Jo Kley, Werner Lehmann, Hannelore Weitbrecht, Lambert Maria Wintersberger et Sigi Zaiß.
partition à quatre mains
Giacometti/Dali – Jardins de rêves
Kunsthaus Zürich
#EXPOSITION
Kunsthaus Zurich du 14 avril au 2 juillet 2023
tous les jours sauf lundi de 10h à 18h (20h mercredi & jeudi)
commissariat : Émilie Bouvard & Philippe Büttner
catalogue en allemand/anglais ou français/anglais, 192 p., 39 CHF

En octobre 1929, Giacometti est sollicité par Charles et Marie-Laure de Noailles pour une sculpture destinée à leur villa à Hyères qui évolue vers un « Projet pour une place » plus ambitieux et complexe. Ayant intégré peu après le groupe surréaliste, Dali s’en mêle et naissent un fourmillement d’idées et un dialogue à quatre mains par esquisses interposées pour une création… qui ne verra pas le jour.
D’abord présenté à l’Institut Giacometti à Paris (13.12.2022 – 9.04.2023), l’exposition arrive au Kunsthaus de Zurich et sera visible jusqu’au 2.07.
La photo de couverture du catalogue est déjà tout un programme. Dali, cheveux gominés découvrant le front, regard écarquillé et moustache filiforme pose dans son univers narcissique et revendique sa sophistication de dandy. Giacometti, tignasse drue, mâchoire volontaire, fermement appuyé sur des mains de maçon surgit de l’ombre et évoque plutôt un ragazzo réchappé d’un film de Pasolini. Le contraste est d’emblée saisissant.
D’autres clichés jalonnent l’exposition qui documente, à travers les choix contrastés de ces deux artistes, ce moment de l’histoire de l’art où les tensions internes au groupe surréaliste amorcent une progressive perte de contrôle sur le mouvement que scellera le conflit mondial.
L’entente et la collaboration entre les deux personnalités sont pourtant fructueuses. Des notes et des mentions dans les lettres attestent d’un dialogue riche et singulier. De nombreuses esquisses et maquettes éclairent la qualité des échanges témoignant autant de l’admiration réciproque que de l’avancement du projet. Tous deux s’accordent sur l’esprit du programme qui sous-tend l’œuvre – le jardin d’Éden, l’Ève tentatrice – et l’ambition de donner une dimension architecturale à l’installation : un espace pénétrable et actif où l’usager peut circuler, être en interaction directe avec l’œuvre (ainsi le serpent fauteuil).
Dali affiche son assurance et son univers visuel fantasmagorique avec des détails obsessionnels nourris de psychanalyse. Giacometti visiblement se cherche et dans une direction inverse : l’épure, l’économie, la synthèse avec des propositions évoquant parfois le travail de Joan Miró. C’est la partie la plus passionnante de l’exposition, la plupart des pièces étant encore éloignées des figures filiformes de chair liquide pour lesquelles il est connu. Il lisse, géométrise, recherche la forme la plus nette (avec un peu de transpiration ?) et, étrangement, semble aboutir à un contrepoint condensé des « objets à fonctionnement symbolique » du catalan. Ce dernier diffracte les volumes dans une sophistication élaborée qui les vaporise dans l’éther du rêve (et la peinture s’y prête plus volontiers). Les qualités et l’intérêt des œuvres respectives, assez différentes au demeurant, ne sont bien sûr pas en cause.
Ce Projet pour une place devait être sculpté dans la pierre. Il est abandonné fin mars 1932, mais une reconstitution grandeur nature en plâtre occupe le centre de la présentation. Un seul élément, Figure, sera réalisé par Alberto avec son frère Diego entre août 1931 et août 1933.
Marqué par la mort de leur père cette année-là, Giacometti se détourne du surréalisme et modèle à partir de là d’après nature. Sa façon à lui, finalement, de transcender le désordre ? Comme le suggère Edgar Morin (Introduction à la pensée complexe, 1990) : Le désordre constitue la réponse inévitable, nécessaire, et même souvent féconde, au caractère sclérosé, schématique, abstrait et simplificateur de l’ordre.
Âge de raison ou de folie (douce) ?
Le 40e anniversaire des Éditions Bucciali
#EXPOSITION
Éditions Bucciali – 31 rue des jardins, Colmar
exposition anniversaire du 28 avril jusqu’à fin juin
du lundi au vendredi de 9 à 17 h et sur rendez-vous au 06 14 23 59 45
Quarante ans : quarante artistes, quarante œuvres !
Ce printemps 2023, les Éditions Bucciali fêtent leurs quatre décennies à Colmar avec comme point d’orgue une rétrospective exceptionnelle le vendredi 28 avril 2023 à partir de 18 h : 40 gravures de 40 artistes ayant marqué l’histoire de l’atelier, des grands maîtres aux jeunes premiers…
suivie à 20 h d’un concert du duo JUST FOR JAZZ (Jean-Marc Clergue, guitare & Jacky Boesch, basse).
Rémy Bucciali, taille-doucier et fondateur des Éditions Bucciali, a fait ses classes en région Parisienne à l’atelier Rigal où il se forme notamment auprès de Gaston Gerbeau et où il a imprimé les gravures de grands maîtres comme Salvador Dali.
À la toute fin des années soixante-dix, il ouvre un premier atelier rue Rambuteau, puis déménage ses presses dans un moulin à papier du XIVe siècle près d’Angoulême.
En 1983, il s’installe à Colmar où il fonde les Éditions Bucciali avec une démarche unique en son genre : conception des gravures – le plus souvent lors de résidences d’artistes –, impression des estampes, édition et diffusion des œuvres par la galerie régulièrement présente dans les foires internationales.
Les Éditions Bucciali, c’est aussi une équipe avec, outre Rémy, Mitsuo Shiraishi, son collaborateur depuis presque trente ans, lui-même peintre et graveur (exposition personnelle à Saint-Dié du 15/04 au 14/08), et, depuis une demi-douzaine d’années, sa fille Alma Bucciali, également illustratrice et graveuse (une édition de son tarot vient de sortir de presse : présentation et vernissage le 5 mai à l’Estampe, Strasbourg).
L’Atelier utilise des techniques historiques datant de plusieurs siècles – eau-forte, aquatinte, pointe sèche, monotypes –, mais n’hésite pas à développer voire inventer des solutions originales en émulation avec la créativité de ses hôtes [voir par exemple Vinça Monadé en mai 2022] affirmant une ligne résolument contemporaine.
En 2016, les Éditions Bucciali ont reçu le label d’État « Entreprise du Patrimoine vivant ».
Graver n’est pas un acte isolé et expéditif, c’est un geste collectif, réfléchi, impulsé par l’artiste. Premier partenaire, le taille-doucier est aussi le premier regard sur l’œuvre, regard exigeant et souvent admiratif. Pour chaque résidence l’Atelier se transforme en ruche bruissante et joyeuse où plus de 80 artistes sont venus échanger, travailler, expérimenter et créer. Des peintres, des graveurs et des sculpteurs, des maîtres à la renommée internationale comme de jeunes talents, originaires de toute l’Europe, des États-Unis, du Japon, et bien sûr d’Alsace se sont succédé derrière les presses de la rue des jardins.
Pour ne citer que quelques noms dont les estampes seront présentées : Tomi Ungerer, Alma Bucciali, Michel Cornu, Mùargreth Hirschmiller-Reinhart, Daphné Gamble, Robert Schad, Mitsuo Shiraishi, Anke Vrijs… et certains reviennent depuis plus de vingt ans comme Raymond Émile Waydelich, Germain Roesz, Didier Guth ou Alain Clément.
Comme le suggère Rémy : C’est la route et l’aventure est loin d’être terminée puisque sa fille Alma maintient la tradition avec la même exigence et invite des créateurs de sa génération.
arpenter le territoire
des présences, des délices, un voyage
Joseph Bey à Courant d’art, Mulhouse
#EXPOSITION
Galerie Courant d’art, 10 rue des Tanneurs à Mulhouse du 21 avril au 6 mai
du mardi au vendredi 10h–12h & 14h30–18h, samedi 10h–12h30 & 14h–18h, tél 03.89.66.33.77
avec l’aimable participation de la ferme MOYSES et sa variété de pains anciens et bios

La sensation physique du territoire saisit d’emblée l’œil, le corps devant un paysage de Joseph Bey. Le peintre n’arbitre pas entre abstraction et figuration, entre mystique et tectonique. Son geste dresse l’espace, scandent les plans comme érodés par le temps, les éléments. Quelquefois l’humain s’invite, discrètement. Une intrigante silhouette avec des gestes d’incantation suggère ce murmure des ombres qui hantent ses itinéraires que ce soit un des chemins de Saint-Jacques ou le pèlerinage de Shikoku au Japon…
Grand marcheur devant l’éternité, l’artiste a une intimité viscérale avec la terre. La terre qu’il foule lors de ses randonnées, les champs et les forêts qu’il traverse et où il goûte la vitalité génésique qu’exprime la nature au fil des saisons : ses beautés chatoyantes, ses tourmentes quelquefois, ses senteurs qui explosent par bouffées bourgeonnantes ou distillent de subtiles fragrances sous la caresse du vent ou l’ardeur du soleil. Un souffle et une présence têtue que mesure l’effort pas après pas.
Son appétence d’authenticité et l’exigence de la marche au long cours ne pouvaient que se retrouver dans la gamme des pains et la démarche pour les produire de Lili et Christophe Moyses.
Située à Feldkirch dans le cône alluvial de la vallée de Guebwiller, la Ferme Moyses s’étend sur des terres traditionnellement consacrées à la culture des céréales. Son équipe cultive en non-labour (nutriments naturels, économie de carburant…) exclusivement des variétés anciennes (antérieures à 1900), possède sa propre meunerie pour ré-apprendre et mettre en œuvre les méthodes de travail et de panification d’antan. Les pains sont cuits uniquement au four à bois et se déclinent selon les variétés de céréales : blé tendre, épeautre, orge, seigle, sarrasin… avec des miches qui émoustillent autant le regard que les papilles.
Des peintures de Joseph Bey aux miches mordorées des Moyses naît l’envie de parcourir cette terre nourricière où l’arôme et le goût du pain prolongent le regard.
l’ivresse de la barbarie
L’Incoronazione di Poppea à l’ONR
#OPÉRA
représentation du mardi 18/04 à 20h, Théâtre de la Sinne, Mulhouse (ONR)

Grand retour du Couronnement de Poppée à l’Opéra National du Rhin où il n’avait plus été joué depuis 2005. Dans la fosse, Pygmalion dirigé par Raphaël Pichon, son fondateur (en 2006). C’est la première fois que le chef et son ensemble se produisent en Alsace et aussi la première fois qu’ils jouent cette œuvre. La mise en scène sera assurée par Evgeny Titov qui a surtout travaillé pour le théâtre, il fait ses débuts en France à cette occasion.
Nerone et Ottone seront tenus par des contre-ténors (Kangmin Justin Kim, Carlo Vistoli). La soprano Giulia Semenzato fera ses débuts dans le rôle de Poppea. Tous les interprètes sont des habitués de ce répertoire et collaborent avec des chefs et des ensembles baroques prestigieux. Katarina Bradić (Ottavia) fréquente aussi très régulièrement un répertoire plus tardif et plus lourd (choix courant pour ce rôle).
l’œuvre
Monteverdi a soixante-quinze ans, il délaisse la mythologie (Orphée, Ulysse) pour l’histoire (la politique…) et son impitoyable cruauté : une barbarie proche des tragédies de Shakespeare avec le cynisme en majesté ! Une atmosphère tendue par la concentration dramaturgique et musicale, sans doute le premier opéra au sens où l’entendait Mozart ou Verdi. Le drame transcende le distractif (l’entertainment) – une suite de scènes et de numéros (ce qu’était encore Orfeo) – et impose une féroce et intense unité.
Des bourreaux – Nerone (surtout) & Poppea – et des victimes – Ottavia, Ottone & Seneca.
Une intrigue avec des enjeux de pouvoir – le contrôle de la Rome antique – où le désir est la couverture de la manipulation. Même les moments de respiration (ce que les scénaristes américains appelleront Mountain and Valley) avec Arnalta (la vieille nourrice), Valletto, Damigella… en inscrivant le contrepoint du quotidien avec leur légèreté, leur trivialité quelquefois et leurs jeux donnent une dimension abyssale et soudain puissamment palpable à la tragédie.
Même si le tyran est hors-sol, sa barbarie est très concrète et active.
Et c’est tellement plus beau quand c’est triste…
La (sublime) mort de Seneca avec en écho la polyphonie incantatoire de ses disciples (Non morir, Seneca, no). L’Addio Roma d’Ottavia ou comment faire son deuil en direct (et en un air). Ou l’incandescent duo conclusif précédé par un sombre chœur masculin (A te sovrana augusta) avec la rugosité des basses et une polyphonie qui semble jeter l’opprobre sur le tyran et sa « prostituée » (selon le mot d’Evgeny Titov). Une apothéose fragile : les cuivres triomphants et l’entrain des cordes sont minés par le spectre de traits mineurs qui crucifient le sublime comme la musique sait si bien le faire.

la production : R. Pichon & E. Titov
Le dispositif scénique : un plateau tournant avec un cylindre d’aspect industriel (bunker, réservoir aménagé…) auquel s’accroche un long escalier métallique qui monte à la galerie, car côté ouvert, l’intérieur tient à la fois du théâtre (la salle tapissée de velours rouge sang avec le balcon, les sièges…) et du lupanar. Au pied de l’escalier, une enseigne verticale en néon sur toute la hauteur « Poppea » précède une porte (discrète) avec digicode. Un lieu interlope où vient s’encanailler la jet set quand elle se pique de venir se frotter au peuple pour la débauche. Sous les marches zonent ceux qui sont à la ramasse avec sacs-poubelles, matelas éventré, bidon métallique pour se chauffer (ou cuire les merguez) : les ratés qui ne gagnent pas une thune (l’intello Seneca, le looser Ottone) et les piques assiettes, les petites frappes attirés par le bling-bling (et le pognon), mais qui s’y brûlent les ailes comme des papillons de nuit.
Un parti audacieux d’Evgeny Titov et de son dramaturge Ulrich Lenz, qui fonctionne atrocement bien renforçant la barbarie et l’abyssale dimension shakespearienne de l’opéra de Monteverdi. Ce tourniquet de la vie crée aussi une dynamique glaçante : chaque scène déborde sur la suivante et provoque des tensions, des frictions supplémentaires amplifiant le poids de la tragédie. Ainsi l’avant-dernier duo Nerone Poppea se termine en gâterie sexuelle suscitant les soupirs de la jeune femme qui se mélangent à ceux plaintifs de l’Addio Roma d’Ottavia, l’épouse répudiée. Une mise en scène qui prend à la gorge, exacerbe l’indifférente cruauté du tyran, la vénalité des courtisans et la pathétique impuissance de ceux qui tentent d’enrayer la monstrueuse broyeuse de ce pouvoir aveuglé par sa toute-puissance : la raison est un frein vigoureux pour qui obéit, non pour qui commande (Seneca).
Seules réserves : Ottavia qui attaque la porte à la disqueuse (c’est un peu ridicule) et surtout lors du duo final tous, sauf Nerone et Poppea (couverte de sang), agonisent (avec le plateau tournant le spectateur les découvre au fur et à mesure) et leurs spasmes occupent tout le morceau, un choix juste et cohérent avec ce qui précède, mais qui distrait de la musique. Certes on comprend ainsi que les courtisans étaient trop mal en point pour le chœur final (A te sovrana augusta), mais la proposition de Busenello et Monteverdi était plus pertinente (cf. ci-dessus l’œuvre) que ce too much un brin grand guignolesque. Un tableau inerte (noir et blanchi par la cendre du futur incendie de Rome ?) aurait été bien plus féroce tout en préservant l’idée de Titov : le meurtre comme rituel d’initiation au pouvoir.
L’interprétation musicale de Raphaël Pichon et des seize musiciens de Pygmalion est à l’avenant de cette réussite. Une restitution de la partition riche, précise avec beaucoup de finesse dans les ornements et d’exceptionnelles couleurs : les bois et cornets, les cordes notamment pincées, l’orgue régal et une culture des silences suspendus qui amplifient les choix dramaturgiques et crée le « suspens ».
Avec ses cheveux oxygénés, Kangmin Justin Kim dessine un Nerone en clubber juvénile et insupportable que seule la sexualité tient en laisse. Poppea (Giulia Semenzato) s’y emploie avec une sensualité tant vocale que physique laissant émerger (très fugitivement) quelques doutes rapidement ravalés par l’ivresse de la réussite. Ottavia (Katarina Bradić) déploie l’énergie d’une lionne y compris vocale pour conjurer son destin et trouve des nuances émergeant subtilement du silence dans son Addio. L’Ottone de Carlo Vistoli est un être accablé et larmoyant qui se réveille à la fin de l’ouvrage aiguillonné par Ottavia et Drusilla (Lauranne Oliva qui assure généreusement malgré sa grippe).
Seneca (Nahuel Di Pierro) est impressionnant, caverneux à souhait, et sa mort est un des grands moments de la soirée entouré par les hommes de main de Nerone (Antonin Rondepierre, Renaud Brès, Rupert Charlesworth) plus venimeux les uns que les autres et emmenés par le ténor Patrick Kilbride.
Emiliano Gonzalez Toro nous offre ce pur moment de grâce : la berceuse d’Arnalta. Il prend aussi beaucoup de plaisir dans la satire jouant de son embonpoint avec sa robe panthère sur bas résilles et une incendiaire perruque rousse.
Il convient de citer la vivacité du Valetto de Kacper Szelążek, les figures allégoriques (Julie Roset, Rachel Redmond) qui – très cocottes – interviennent dans l’action et la majestueuse maîtrise de la Virtu (Marielou Jacquard) quand elle clame sa résignation.
éruptive liberté
Shirley Jaffe, Form als Experiment
Charmion van Wiegand, Expanding Modernism
au Kunstmuseum Basel – Neubau
#EXPOSITIONS
Kunstmuseum Basel – Neubau, du mardi au dimanche de 10h à 18h (jusqu’à 20h le mercredi)
_Shirley Jaffe, Form als Experiment du 25 mars au 30 juillet 2023
commissaires : Olga Osadtschy (Kunstmuseum Basel), Frédéric Paul (Musée national d’art moderne Centre Pompidou), catalogue en allemand et en anglais, 296 p., 48 CHF
_Charmion van Wiegand, Expanding Modernism du 25 mars au 30 août 2023
commissaires : Maja Wismer avec Martin Brauen, catalogue en allemand ou en anglais, 160 p., 44 CHF

L’exposition Shirley Jaffe, Une Américaine à Paris présentée au Centre Pompidou en 2022 a été élaborée avec le Kunstmuseum Basel et le Musée Matisse, Nice (11/10/2023 – 8/01/2024). Le Neubau l’accueille du 25.03 au 30.07.2023. Une exposition impressionnante et exhaustive sur la carrière presque exclusivement parisienne de l’artiste.
Celle consacrée à Charmion van Wiegand Expanding Modernism occupe les trois salles du sous-sol jusqu’au 13.08.
Avec ces deux propositions, le musée souhaite faire découvrir des artistes peu connues, mais marquantes. Si Shirley Jaffe l’est pour sa peinture, van Wiegand l’est surtout pour sa proximité avec Mondrian.
Article à venir très vite…
jubilation transgressive
Hen de Johanny Bert
#THÉÂTRE / MUSIQUE
représentation du mardi 28 mars 2023 à l’ESPACE 110, Illzach – Les Vagamondes 2023
adaptée en LSF par Vincent Bexiga (réalisation Accès Culture)

Quatre lignes lumineuses balisent un cadre, un bord de scène et installent le music-hall : ce sera un tour de chant avec de la nostalgie, de la provocation – des moments de stand-up –, de la poésie, de l’enthousiasme et un brin de folie. Hen animé – en théâtre noir – par deux marionnettistes (Johanny Bert, également voix de HEN, & Lucile Beaune) tiendra la scène pendant presque une heure et demie accompagné(e) par le violoncelle de Guillaume Bongiraud et Cyrille Froger aux percussions.
L’entame est envoûtante, musicalement et visuellement. Un moment éthéré : Hen, pâle sirène dans son aquarium, évolue nu(e) derrière une membrane de plastique translucide qui s’effondre pour l’entrée de l’artiste. Un cocon placentaire avant d’affronter le monde et d’en prendre plein la gueule ?
Une queue-de-cheval d’ébène plantée sur le sommet de son crâne rasé, Hen est femme, homme, corps éclaté, démembré, explosé. Car Hen navigue d’une identité à l’autre, est un peu victime de tous ses combats et le raconte avec humour et provocation, autodérision aussi, jouant des mots et de ses corps. Il/elle digresse sur ces vies chahutées, persécutées, humiliées par la bêtise, les préjugés voire les autorités qui ne protègent pas ou si peu ceux qui sont autres.
Hen chante (beaucoup), danse, provoque, striptease, se trans-formise – il lui pousse des seins ou des érections, quelquefois ses fragments s’éparpillent –, se donne l’absolution par l’abandon au plaisir et ne revendique qu’une chose : la liberté d’être.
Sa bouche, la délicatesse expressive de son visage, son regard ardent lui donnent une présence intensément humaine. Les marionnettistes – ses gardes du corps ! – s’invitent par moments, jouant le visible et l’invisible, la mise en abîme du dispositif théâtral. Le spectacle avance poétique et rythmé, toujours avec finesse et intelligence avec des textes affûtés et/ou émouvants.
La salle est conquise, applaudit chaque numéro, chaque chanson, l’agrémentant même de youyous enthousiastes.
À suivre la vie et les combats de Hen se dessine pourtant une chose toute simple : et si au fond tout cela ne tenait qu’à un énorme déficit de bienveillance qui condamne chacun à choisir la peau (et sa peau avec l’égoïsme induit…) contre la folie du monde ?
Hen : un hymne, un appel à la générosité ? À l’Ouvert ?
Un jour quelqu’un me serrera tellement fort dans ses bras qu’il me recollera tous les morceaux.
fabrication des marionnettes : Eduardo Felix, costumes : Pétronille Salomé
auteurs compositeurs pour la création : Marie Nimier, Prunella Rivière, Gwendoline Soublin,
Laurent Madiot, Alexis Morel, Pierre Notte, Yumma Ornelle et une reprise de Brigitte Fontaine
création lumière : Johanny Bert, Gilles Richard
création son : Frédéric Dutertre, Simon Muller
production : Théâtre de Romette
chaos festif
Trans(e)galactique (exposition)
The Bacchae
Elli Papakonstantinou d’après Euripide
#FESTIVAL
=> exposition du 17.03 au 14.05 • entrée libre
du ma. au sa. 13h-18h + di. 14h-18h + soirs de spectacles
=> représentation du vendredi 17 mars 2023 à La Filature, Mulhouse – Les Vagamondes 2023
en tournée du 10.06 au 11.11 2023

Vendredi 17 mars, la Filature a lancé les Vagamondes, 11e édition, avec l’exposition Trans(e)galactique à la galerie (visible jusqu’au 14 mai) sur une proposition de Superpartners (SMITH et Nadège Piton) et la création de The Bacchae de l’artiste grecque Elli Papakonstantinou d’après Les Bacchantes d’Euripide.
Le festival traite de la notion de FRONTIÈRES au sens large et met cette année – notamment pendant ce week-end d’ouverture – l’accent sur celle des genres.
Trans(e)galactique
L’exposition offre un autre paysage humain que la partition binaire hommes vs femmes instituée par nos sociétés :
Nous construisons ce que nous sommes à l’intérieur d’un système fait de frontières, de séparations, de distinctions, d’exclusions, de scléroses, de dominations. Dans ce monde capitaliste, sous surveillance généralisée, où l’opacité, le mystère, le secret ont disparu – quels chemins de traverse se frayer pour devenir ce que nous sommes : pirates, tricksters, divergent·e·s en tous genres ?
Des niches qui s’affirment et s’affichent à travers ces photos par la mise en scène des corps, le journal intime, de nouvelles pratiques artistiques (donc d’autres images comme la caméra thermique de SMITH ou l’Amazogramme de Roberto Huarcaya) ou en s’appropriant le militantisme notamment écologiste.
L’accrochage est dense – outre les cimaises, de nombreux panneaux suspendus rythment l’espace –, plonge dans le temps – les clichés les plus anciens remontent aux années quarante – et revendique aussi une volonté documentaire notamment les photos « privées » de Sébastien Lifshitz dénichées dans les marchés aux puces.
35 artistes internationaux pour presque une centaine de pièces.
The Bacchae
À l’inverse, The Bacchae revendique une forme d’outrance. La pièce s’ouvre sur une bonbonnière où une drag-queen et un drag-king dressent un banquet. De même, Penthée arbore un maquillage chargé, de longs cheveux gris, un costume vaporeux et, dans la seconde partie, Dionysos se déchaînera en string.
Au son, une musique rock/contemporaine comme une sourde et lancinante rumeur que fendent des envols opératiques au chant s’appropriant le côté too much du genre.
Le blanc domine et pulse au rythme d’un séduisant mapping (monochrome) : des paysages numériques se propageant telle une lave en fusion.
Dionysos débarque en étranger : personnage sombre, encapuchonné et inquiétant, semblant sortir du côté obscur de Star Wars. Au début, il est mutique, anonyme (de dos) et les Bacchantes (qu’on ne voit pas) sont d’autres migrants venus dans le même esquif : la submersion à venir de l’insouciante abondance par ces naufragées (politiques, économiques, climatiques…), les prémices d’une fin du monde cataclysmique. La métaphore est reprise par un sismographe qui transcrit les vibrations du plateau sur un paperboard déversant ses larges bandes de papier (offrant vers la fin une très belle image quand les acteurs s’emballent et circulent sur le plateau en tirant ce papier devenu chenille ou dragon et vibrant du mapping stroboscopé).
Dionysos pousse ce petit monde vers une surenchère qui les met à nu au propre (tous finissent en slip) et au figuré, mais cela ne suffit guère à endiguer le chaos qui monte progressivement dans la seconde partie et, en s’emparant du papier, tous semblent plutôt le propager. Comme s’il était toujours trop tard…
Le spectacle – en anglais, espagnol, grec – est très touffu, cultive le cérémoniel et le sacrificiel. Le tournage de scènes dans les coulisses projetées en direct sur le décor (procédé désormais courant cf. La Mouette en début de saison) éclaire incidemment (et plutôt sordidement) la trame.
Pour Elli Papakonstantinou, la pièce d’Euripide fournit le squelette d’une mise en proposition de cette apocalypse joyeuse. Car ça pulse et ça part dans tous les sens avec un esprit festif qui rejoint l’envie des Superpartners dans leur programme d’ouverture : celle d’un étourdissement prêt à céder à la folie, non pas au sens pathologique ou psychiatrique, mais à celle théâtrale et baroque de l’Orlando furioso où la passion explose par la peau, les corps, les pores, les émotions, en disruption, certes, avec la culture dominante, patriarcale, mais qui restent malgré tout dans le spectacle (au sens de Guy Debord), car la Culture, ce n’est pas ce qui combat le capitalisme, c’est sa courroie de transmission (Franck Lepage)…
avec Vasilis Boutsikos, Georgios Iatrou, Hara Kotsali,
Ariah Lester, Lito Messini, Aris Papadopoulos
conception, direction artistique : Elli Papakonstantinou
texte : Elli Papakonstantinou, Chloe Tzia Kolyri, Kakia Goudeli
scénographie : Maria Panourgia, lumières : Marietta Pavlaki
chorégraphie : SINE QUA NON ART
musiques : Ariah Lester, production : OCD Ensemble
Addenda : à l’issue de la représentation, les comédiens ont pris la parole pour rappeler le grave accident ferroviaire du 28 février en Grèce : un symptôme dramatique de l’effondrement de tous les services publics dans leur pays. Ils ont évoqué la dégradation induite sur la qualité de vie de leurs compatriotes et leur plus vive inquiétude pour la démocratie.
Festival Vagamondes
11e édition du 17 au 31 mars 2023
#THÉÂTRE / DANSE / MUSIQUE /ARTS VISUELS
La Filature, Scène nationale de Mulhouse
15 spectacles dont 3 créations, 1 exposition, 2 projections au cinéma Bel Air,
13 séances scolaires, 9 structures partenaires
programme détaillé et réservation sur le site
Depuis son arrivée à la tête de la Filature, Benoît André souhaite que chaque édition du Festival s’empare d’une question de société avec des propositions qui interpellent – voire dérangent – par le fond comme la forme quitte à les associer : théâtre, danse, musique, arts visuels.
Du 17 au 31 mars 2023, c’est la notion de FRONTIÈRES au sens large (géographiques, idéologiques, sociétales…) qui s’invite et investira tous les espaces de la maison et même au-delà avec 9 structures partenaires.
Il a élaboré la programmation avec Superpartners (SMITH, photographe et metteur en scène & Nadège Piton, commissaire d’exposition et performeuse). Ces derniers ont imaginé un week-end d’ouverture dense et ambitieux – résolument festif aussi – avec dès vendredi (18h) un vernissage performé à la galerie pour leur exposition Trans(e)galactique suivi du concert de Jeanne Added + Vatican Soundsystem.
Si le duo travaille beaucoup sur le genre, c’est tendu par le lien entre la terre et le cosmos incluant le chamanisme et la transe. Ils bénéficient de la complicité de Marie Ndiaye qui se prolongera samedi avec Cabaret LE SECRET (COSMOS) (mezzanine à 21h).
Ces soirs-là, les noctambules pourront jouer les prolongations au Noumatrouff !
Autre temps fort : la création de The Bacchae d’après Euripide (17.03 & 18.03, 19h). La metteuse en scène Elli Papakonstantinou réinvente le mythe grec en opéra pop pour évoquer la mutation de notre humanité.
Dans une veine plus dystopique : Les furtifs inspiré d’Alain Damasio (21.03, 20h).
Deux propositions ‘manipulation de matières‘ de Phia Ménard : L’après-midi d’un foehn (25.03, 15h) et VORTEX (25.03, 19h)
Danse avec Natural Drama (29.03, 20h) et, pour clore le festival, Roméo et Juliette Suite (Prokofiev) par Benjamin Millepied (30.03 + 31.03, 20h) précédé à chaque fois de la performance musicale et visuelle Embuscade (création, à 19h au restaurant).
Quelques propositions sont délocalisées :
Deux projections au Bel Air (Casa Susanna 19.03, 17h & Toute la beauté et le sang versé 20.03, 20h)
Le Firmament à la Comédie de Colmar (22.03, 19h)
Libre arbitre à La Coupole, Saint-Louis (22.03, 20h)
HEN (spectacle de marionnettes dès 16 ans) à l’ESPACE 110, Illzach (28.03, 20h)
Enfin à destination du jeune public avec l’AFSCO : KiLT – La mare aux sorcières (création).
Dans un monde de plus en plus fragmenté, il est bon de sillonner des chemins de traverse qui peuvent devenir des chemins de désir…
Himmel über…
Célèbre la terre pour l’ange
Clément Hervieu-Léger, Bruno Bouché
#LECTURE & DANSE
répétition & représentation du 10 mars 2023
Colmar, Musée Unterlinden avec le CCN • Ballet de l’Opéra National du Rhin
sous la direction de Bruno Bouché, directeur artistique et chorégraphe
Répétition, sous la direction de Bruno Bouché, dans la (réverbérante) Piscine du Musée Unterlinden de « Célèbre la terre pour l’ange » : lecture et danse, avec le piano délicat et attentif de Maxime Georges, Clément Hervieu-Léger, sociétaire de La Comédie Française, et les danseurs Jesse Lyon et Cauê Frias.
Bach, Rilke, Delacroix.
Une des propositions de « L’Œuvre qui va suivre » avec les peintures monumentales de Silvère Jarrosson pour élargir l’espace vers le vertige.
La chorégraphie – Bless – ainsi soit-Il – est inspirée de la Lutte de Jacob avec l’Ange peinte dans la chapelle des Saints-Anges (Saint-Sulpice, Paris) :
C’est l’œuvre de Delacroix peinte sur les murailles de l’église Saint-Sulpice qui me regarde plus que je ne la regarde ; ça me regarde au creux même de ma nuit. (Bruno Bouché)
La Chaconne de Bach (de la Partita n° 2 en ré mineur, BWV 1004) transcrite par Ferruccio Busoni – admirablement servie par Maxime Georges – martèle l’inexorabilité du destin de manière peut-être plus impérieuse que ne le fera Beethoven et le piano (instrument à percussion) plus énergiquement que le violon original. Les moments d’éclats de l’œuvre s’ombrent de l’intimité délicate et suspendue d’un ostinato irrésolu à jamais.
Et puis les Anges de Rainer Maria Rilke !
Quand Rilke écarte l’idée de dieu, ce sont eux qui ouvrent un espace vers la transcendance.
Si l’on chante un dieu,
ce dieu vous rend son silence.
Nul de nous ne s’avance
que vers un dieu silencieux.
Cet imperceptible échange
qui nous fait frémir,
devient l’héritage d’un ange
sans nous appartenir. [2]
Omniprésentes dans l’œuvre de Rilke et dans les textes choisis pour cette soirée, ces figures d’anges éveillent des images d’une grande poésie.
Quelque part l’Ange de l’Oubli,
radieux, tend sa figure au vent
qui tourne nos pages. [3]
Et si l’écriture du poète est d’une articulation élaborée (c‘est le prix de ses doutes), plutôt difficile à dire, Clément Hervieu-Léger les emplit d’une limpide évidence.
Grâce à lui, les mots déploient leurs ailes bienveillantes, mais aussi les interrogations du poète…
Vues des anges, les cimes des arbres peut-être
sont des racines, buvant les cieux [4]
Mais voilà un siècle déjà que
même les Anges ont cessé de voler. [5]
Depuis le ciel a perdu beaucoup de racines,
les sereines frondaisons ne veillent plus
sur ces novices devenus des fantômes. [6]
Nous nous dissipons en expiration
de brasier en brasier [7]
soumettant même cet alpage des anges
à la tyrannie des machines !
Car… à quoi bon voler
dans des cieux désormais saturés d’aéronefs ?
De drones, de satellites, de missiles…
Y a-t-il encore un espace pour l’indicible ?
Pour l’invisible ?
Plus que jamais, les anges cherchent une piste d’envol…
[2] Vergers (1926)
[3] Le grand pardon (1926)
[4] Poèmes français : Portrait intérieur, XXXVIII (1926)
[5] Le Livre d’heures (1899–1903)
[6] cf. Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme (1956) : Notre normalité est une histoire de fantômes…
[7] Deuxième Élégie de Duino (1912)
abysses & vanité(s)
Wayne Thiebaud à la Fondation Beyeler
#EXPOSITION
Riehen (Bâle), Fondation Beyeler du 29 janvier au 21 mai 2023
commissariat : Ulf Küster
catalogue en allemand ou en anglais (cahier avec trad. en français), 160 p., 58 €
tous les jours de 10h à 18h (20h mercredi, 22h vendredi)
=> Palimpsest : grande installation (400 m2) de l’artiste colombienne Doris Salcedo est visible jusqu’au 17/09/2023

Mort centenaire en 2021, le peintre américain est un quasi inconnu en Europe où l‘exposition monographique de la Fondation Beyeler est seulement la quatrième à lui être consacrée. Sa notoriété s’amorce pourtant dès 1962 aux États-Unis où ses œuvres figurent dans les collections des plus grands musées à l’égal de Hopper ou Warhol.
Le commissaire Ulf Küster a choisi de présenter la soixantaine d’œuvres par thématiques : les natures mortes, les portraits (le plus souvent en pied), les paysages (surtout à partir de 1995) : les vues de San Francisco, le delta du fleuve Sacramento, enfin ses vertigineux paysages de montagnes.
Wayne Thiebaud (1920-2021) est souvent présenté comme précurseur du pop’art : il en reprend les motifs – des produits de consommation – et la logique sérielle. Mais il s’insurgeait légitimement contre cette classification. Si son travail de la couleur est séduisant – il revendique la palette fauviste –, les dominantes sont acidulées servies par une touche fine, riche et élaborée, loin de l’hédonisme et de la jubilatoire profusion de la consommation de masse. S’y ajoute une distance critique assez systématique.
Dans ses natures mortes, le contexte se limite à un éventuel présentoir, le prix est presque toujours ostensible (quelquefois provoquant : Cent Masterworks, 1970−72), chaque produit se fabrique avec son ombre une matérialité dense et autarcique, mais suscite en contrechamp un grand vide que le peintre traite volontairement avec économie (brossage soigneux des contours renforçant l’isolement du sujet). Ses sucreries – et ses gâteaux à la crème sont si périssables – se transforment ainsi en vanités d’autant plus tourmentées qu’elles sont pimpantes… mais abandonnées dans cette incantation aussi désertique que solaire.
Plus tardifs (2005), les bandits manchots (Jackpot ; Two Jackpots) gravitent dans le même no man’s land et évoquent ces fameux maneki-neko (chat porte-bonheur japonais) dressant leur patte/manette en signe d’appel à consommer/jouer… Perdant ?
À ses personnages, il réserve un traitement similaire : un réalisme glaçant proche de la taxidermie. Des poses gelées dans le temps marchand, exclusivement vouées à la consommation (leur burger : Eating Figures (Quick Snack), 1963 ; la glace : Girl with Ice Cream Cone, 1963).
Jusqu’à s’afficher eux-mêmes en produits ? Offerte ou en vente la jeune femme léchant sa glace les jambes écartées ? Comme ces Deux figures à genoux accablées de lassitude : Two Kneeling Figures (1966) ? Ou ces baigneurs déposés là comme trois cadavres : Three Prone Figures (1961) ?
Des pistes discrètes émergent : au-dessus de la Student (1968) trône une horloge : le temps, c’est de l’argent. Chez Wayne, les accessoires, s’il en met, ne sont jamais anodins et la posture de la jeune femme est résignée, son regard hésite à dévisager le peintre/spectateur. Gênée, honteuse de sa réticence face au destin qu’on lui assigne ?
Le fascinant Woman in Tub (1965) est l’exemple le plus emblématique de sa manière. Trois lignes horizontales vibrantes (moins d’un centimètre, mais reprenant les couleurs de l’arc-en-ciel) et une flaque azur indiquent à peine la baignoire. Une épure où la tête de la femme soigneusement détaillée est offerte comme une de ses pâtisseries dans un espace décharné, le peintre laissant au spectateur le soin de construire, d’imaginer le tableau. N’affirmait-il pas : Depuis toujours je suis fondamentalement convaincu que mon travail est abstrait.
Moins connus, moins visibles, les paysages prolongent cette dissonance et ses perspectives. Dès 1993, il peint San Francisco avec ces pentes qu’il dresse exagérément : les montagnes russes d’une fête foraine avec des envolées dignes de la science-fiction. Mais au-delà du ludique, les véhicules tels des modèles réduits peinent à avancer sur ces pentes abruptes et les arbres minuscules s’y accrochent tant bien que mal. L’artiste suggère la fragilité de l’ambitieux geste des aménageurs qui s’efforcent de domestiquer le paysage. Laborieusement : ces routes qui s’épuisent à relier tous ces immeubles en sont le symptôme.
Centrée verticalement, la rue d’Untitled (City View, 1993) monte vers le ciel, tremplin cinglant, mais aussi Tour de Babel… Une composition remarquablement articulée au service d’un thème très classique : une vue de la fenêtre de l’atelier.
Peu après (1997-2008), il peint les paysages du delta du fleuve Sacramento, souvent des vues aériennes. Si la topographie est moins chahutée, cette tension entre l’artificialisation, la gestion logistique des ressources (routes, canaux, lacs artificiels…) et l’environnement naturel reste tangible. Ses toiles saisissent la lumière qui adoucit cette friction du formel et de l’informel, le manège des lignes concurrentes qui colonisent le territoire.
Dans la salle 6, la plus impressionnante, les vertigineux paysages font remonter les chaos et les solitudes de Caspar David Friedrich. Mais ce n’est pas l’impressionnant spectacle de la nature en travail comme chez le peintre allemand, c’est une lutte avec l’ange, l’Homme mécanisé contre la planète… Des hommes absents, mais, écrasées sous un ciel réduit à rien, ses routes, ses maisons lilliputiennes accrochées à une fine pellicule flottant au bord du gouffre : des parois aux dimensions abyssales que le pinceau de l’artiste gorge d’une vie colorée et touffue.
Ces paysages sont peints vers 2008-2012. Thiebaud avait 9 ans en 1929 : suffisamment pour mesurer l’impact de la crise et de la Grande Dépression qui a ruiné sa famille. Et ce monsieur de 90 ans voit plus de dix millions d’Américains expulsés de leur logement suite à la crise des subprimes… folie et rapacité des fonds de pensions, des traders (accessoirement la crise climatique progresse). Lui n’a que son pinceau, alors il érige ces falaises bouillonnantes de couleurs sourdes, cette puissance de la Terre qu’exploite une humanité qui a comme principal horizon sa vanité, mère de toutes les illusions nobles ou viles (Joseph Conrad).
Hopper, avec ses personnages en suspension souvent absorbés vers le lointain, interrogeait le sens de l’American Way of Life. Thiebaud, avec ses icônes pâtissières, reflets de la culture de la pulsion, et ces frêles esquifs humains qui surnagent sur de sombres et vertigineuses cataractes de couleurs, suggère une issue.
Pas forcément la plus joyeuse !
légèreté minérale
« L’Œuvre qui va suivre »
Silvère Jarrosson au musée Unterlinden
avec Bruno Bouché & le Ballet de l’Opéra National du Rhin
#EXPOSITION [parution papier NOVO n° 68]
Colmar, Musée Unterlinden du 4 au 24 mars 2023
tous les jours de 9 h à 18 h, sauf le mardi, entrée 13 €
Place Unterlinden – F-68000 Colmar (tél. +33 (0)3 89 20 15 50
#DANSE +
programme coproduit avec le CCN • Ballet de l’Opéra National du Rhin
sous la direction de Bruno Bouché, directeur artistique et chorégraphe
Petit avant-goût de la manifestation grâce à quelques images tournées durant la présentation de presse :-)
Lors du vernissage (samedi 4.03), la compagnie a également dansé deux pièces témoignant de l’engagement de Bruno Bouché et du Ballet de l’Opéra National du Rhin dans cette programmation.

Programme chorégraphique et culturel en lien avec les œuvres monumentales de Silvère Jarrosson (exposées à « la Piscine ») et les collections du musée.
Une dizaine d’évènements (dont deux performances) avec des invités prestigieux (Clément Hervieu Léger de La Comédie Française, Théotime Langlois de Swarte, Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste…).
Calendrier détaillé et réservations sur les sites des Unterlinden et de l’Opéra National du Rhin.
L’article est paru en mars dans Novo n°68 (p. 26) : fo – cus (vers le milieu).
Repris sur le Facebook du Musée.
Papiers ! Papiers !
Maîtres de Swen de Pauw
#CINÉMA
documentaire sorti en salle en février 2023 (France 2021, 97 min)
projeté en présence du réalisateur lundi 13 mars lors du Festival du film de Colmar

La nouvelle monture du Festival du film de Colmar revendique un éclectisme dans sa programmation et a fait une jolie place au documentaire en lui consacrant une journée entière qui s’est achevée par la projection de Maîtres.
Durant quelques semaines, Swen de Pauw a posé ses caméras dans le cabinet d’avocat de Christine Mengus et Nohra Boukara spécialisées dans le droit des étrangers. Si Le Divan du monde (2016) était très statique (dans mon souvenir), ici le réalisateur s’autorise des changements d’échelle de plans, cherche des visages, des détails. Pas de colloque singulier comme chez Georges Federmann, mais deux personnalités très différentes auxquelles s’ajoutent leur collègue, Audrey Scarinoff, les secrétaires, les stagiaires : une ruche bruissant de paperasses…
Car la paperasse est l’ardente obligation de tous, avocats comme clients : un culte, une religion comme si la production de ces fils tracassiers était indispensable pour lier le corps social et en maintenir la cohésion… Si les deux avocates y voient à peu près clair, ce n’est pas forcément le cas des stagiaires et certainement pas des clients souvent présents en France depuis des années avec un emploi stable et qui sont démunis devant la harassante complexité de ces arcanes procéduriers. Pour le cabinet, c’est une bataille de longue haleine avec souvent l’obligation d’affronter et corriger, quand c’est possible, des procédures mal emmanchées, des dossiers mal ficelés ou hors délai. Des parcours éreintants qui installent lassitude, légèreté et négligence voire indifférence chez les demandeurs… provoquant de nouveaux loupés.
Ainsi, consciencieusement, les petites (comme les grandes) mains du cabinet produisent des papiers supplémentaires. Les arpèges feutrés du pianotage en égrènent la saisie avec ces plans sur les doigts tapotant les claviers.
Malgré ces efforts, surgit régulièrement l’accablement des rendez-vous non honorés avec le cabinet, mais aussi avec les administrations quelquefois même pour valider l’attribution de la carte de séjour tant convoitée. Mais le système englue tout le monde dans un temps si interminable, des obligations si tatillonnes et incompréhensibles que certains n’arrivent plus à distinguer l’essentiel du vétilleux.
Des échanges filmés, émerge aussi l’autre tâche que les avocates prennent en charge : l’élaboration de la stratégie et du discours à tenir pour convaincre le juge – une forme de coaching – d’autant que les demandes de régularisation relèvent d’une logique de délit. Il importe d’identifier les choses à dire, celles qu’il ne faut surtout pas mentionner, car le moindre mot, chaque papier produit restent une pièce opposable, à charge au besoin, qui peut compromettre l’attribution du titre de séjour. Or il est tentant, surtout en début de parcours, de produire des faux négociés contre quelques billets pour remplacer des documents égarés lors d’un voyage chaotique ou compliqués à obtenir dans des pays où règnent corruption, laxisme, désorganisation.
Au fil des entretiens, il est patent que ni Christine Mengus, ni Nohra Boukara ne sont dupes. Les constructions procédurales visent à décourager les (futurs) demandeurs d’asile et ces tombereaux de paperasse dessinent de nouvelles frontières, permettent de statuer sur dossier en avançant la froide raison des règles administratives afin de réduire a minima la confrontation avec l’humain : la peau avec ses cicatrices, les yeux avec leurs larmes, les voix avec leurs suppliques, la douleur, le désespoir et la perspective d’un destin sans bienveillance. Ce traitement transforme la problématique des migrants en simple gestion de flux conditionnée par les choix diplomatiques (politiques, économiques…).
Le film, au contraire, rend vibrant la matière humaine, charnelle et montre l’envers de cette logique de tri où les individus sont un peu comme du bétail qu’on sélectionne et qu’on marque au fer : tu fais partie du troupeau (national) ou non. Dans ce cas, le débouté rebascule dans son enfer, celui du clandestin ici ou celui qu’il a fui si une OQTF est mise en œuvre.
À chercher quotidiennement le trou de souris dans cette forteresse administrative, Christine comme Nohra poussent de longs soupirs accablés chaque fois qu’un client invoque la France comme le pays des droits de l’homme…
Nohra précise même : on a réinventé le droit colonial, ici les étrangers sont des citoyens de seconde zone.
directeur de la photographie : Hervé Roesch
production : Seppia avec Film Projectile, Nour Films, TV5Monde
distribution : Nour Films
Festival du film de Colmar
26e édition du 12 au 18 mars
#CINÉMA
Ville de Colmar & cinéma CGR de Colmar, 1 place Scheurer Kestner
Les séances sont gratuites.
Nouvelle mouture et surtout nouvelles dates pour le Festival du film de Colmar désormais installé au CGR en mars – du 12 au 18. Il ouvre la saison des Festivals échelonnés du printemps à l’automne jusqu’à celui du Livre en novembre.
Pas de révolution, mais presque tout a changé… en douceur.
Exit 7 jours pour le 7e art – très connoté téléfilms auprès des cinéphiles locaux – avec un glissement marqué vers le cinéma en salle (plutôt grand public) : un positionnement volontariste dans le paysage d’une filière en mutation (avec la concurrence des plateformes amplifiée par les confinements) voulu par Estelle Zimmermann, le nouveau visage de la manifestation, et Marwan Messaouni, directeur du cinéma CGR où se déroulent les projections.
Un éloge du cinéma à travers ses métiers (thématique de l’édition 2023) et une attention à la diversité des publics (notamment scolaires, ce qui a motivé le calendrier : les enseignants étant plus faciles à mobiliser au printemps qu’en période de rentrée).
En creux l’envie de redonner aux publics le goût du grand écran avec un « western » urbain en soirée d’ouverture (Apaches* de Romain Quirot, le 12 à 20h) et une comédie populaire en clôture (10 jours encore sans maman* de Ludovic Bernard avec Franck Dubosc, le 18 à 20h30). Le documentaire est aussi présent – Maîtres de Swen de Pauw (le quotidien de deux avocates spécialisées dans le droit des étrangers, le 13 à 20h) & L’extravagante petite vie de Jean-Claude Dreyfus de Lucas Stoll (le 13 à 18h30) –, ainsi que l’émergence – des courts métrages locaux avec le réseau PLATO soutenu par la Région Grand Est & la section audiovisuel et cinéma du lycée Kirschleger de Munster (le 18 à 15h) – et des projections partenaires : Mira, cinémathèque régionale numérique (le 16 à 20h) & un ciné concert proposé par le Lézard (Cours Lola cours, le 14 à 20h).
Un festival, c’est des films en avant-première (aux 2 ci-dessus {*} s’ajoutent : Comme une actrice, le 15 à 20h & Sur les chemins noirs, le 17 à 20h), mais aussi des moments d’échanges entre les auteurs et le public à l’issue des séances, des animations, des ateliers, des master class… Pas de jury, mais des votes du public. Tout un programme.
Le CGR qui accueille le Festival pour la 4e fois, a des atouts : l’implication du directeur, l’équipement des salles, la proximité de lieux de convivialité et du centre-ville. Sans oublier la gratuité ! Comme le précise Éric Straumann, maire de Colmar, la ville prend en charge le coût des séances. L’entrée est gratuite pour tous les spectateurs.
Une proposition que pourra prolonger le Printemps du cinéma du 19 au 21 mars 2023 (tarif préférentiel pour les films à l’affiche du cinéma CGR).
servitude volontaire
Le Dragon d’Evgueni Schwartz
#THÉÂTRE
représentation du 8/02/2023 à La Filature, Mulhouse

La pièce est un conte (pour enfants ?) avec sa liberté de traitement, mais, écrite par Evgueni Schwartz à Moscou en 1943, comment ne pouvait-elle pas être marquée par l’époque et le climat d’oppression à peu près général en Europe ?
Pour sa production, Thomas Joly s’inspire surtout de la façon dont spectacles, peinture, cinéma se sont emparés de cette sombre période : une manière noire évoquant les carceri de Piranèse saignés d’éclairs Led.
Des projecteurs fixés au balcon comme ceux des miradors balayent la salle pendant l’entrée du public. Un cadre d’avant-scène ayant la forme d’un œil (ou d’une ouverture de caverne) oriente le regard du spectateur vers cette société qui se débat (ou plutôt pas) contre son/ses monstre(s). L’échappée du fond entourée de redents apparaît comme une gueule d’enfer, car un dragon tricéphale (trois comédiens l’incarnent) règne sur cette bourgade. Personne ne songe à se rebeller et tous s’accommodent du sacrifice annuel d’une jeune femme.
Lancelot (Damien Avice), héros professionnel, vient perturber ce statu quo. Avec ses questions gênantes, il découvre une galerie de personnages dont le bourgmestre (belle prestation de Bruno Bayeux), entremetteur omniprésent – sorte d’Eichmann bourré de tics et de névroses –, mais aussi un chat qui parle. Sous la résignation de tous, perce le confort de la situation : la peur du dragon garantit une rassurante autarcie.
Tombé amoureux d’Elsa (Hiba El Aflahi), la prochaine victime, il passe outre aux réticences – les humains sont tellement superficiels – et liquide le dragon. Mais le nouveau monde libéré n’advient pas. Le bourgmestre, gagnant en assurance, prend le pouvoir et se mue en impitoyable tyran (un parfum de Chaplin dans Le Dictateur par moments).
Les images que fabrique Thomas Joly évoquent l’expressionnisme : les films muets (M. le Maudit ou Mabuse avec le fond de ville, Murnau…), le côté vétuste des archives avec ses rouleaux alignés, les costumes et les maquillages excessifs comme sur certaines toiles de Dix, mais aussi sa réappropriation plus tardive par Broadway avec Cabaret (John Kander, 1966) notamment pour les tableaux chantés. La noirceur n’empêche ni le spectaculaire, ni l’humour en dépit de la désolante prédisposition à la servitude volontaire…
À la fin, Lancelot suggère bien une greffe de cerveau, mais la liberté est un fardeau, l’absence de liberté un soulagement comme le relève Charlotte Beradt (Rêver sous le IIIe Reich, 1966).
avec Damien Avice, Bruno Bayeux, Moustafa Benaïbout, Clémence Boissé, Gilles Chabrier, Pierre Delmotte, Hiba El Aflahi, Damien Gabriac, Katja Krüger, Pier Lamandé, Damien Marquet, Théo Salemkour, Clémence Solignac, Ophélie Trichard
mise en scène Thomas Jolly (texte français Benno Besson), scénographie Bruno De Lavenère, lumières Antoine Travert, costumes Sylvette Dequest, musique originale, & son Clément Mirguet
production LE QUAI CDN Angers Pays de la Loire
clair-obscur épique
Des femmes qui nagent de Pauline Peyrade
#THÉÂTRE
représentation du 2 février à la Comédie de Colmar
en tournée du 21.02 au 21.04 2023

Actrice… une vie, un destin. Avec les images qui vont avec. Cinématographiques surtout. Et des incarnations tirées (vers le haut, le bas ?) par beaucoup de clichés. Émilie Capliez le constate lors des auditions de jeunes comédiennes qui se moulent dans une forme revisitée d’emplois. Un questionnement qu’elle a partagé avec Pauline Peyrade et qui a abouti à la commande de cette pièce évoquant ces femmes si publiques, mais pas que : L’actrice, c’est la part faillible, laborieuse. La star, elle, ne déçoit jamais. Une écriture en amont, mais aussi en échange avec le plateau.
Quatre femmes de quatre générations – une douzaine d’années les sépare. La parole circule de l’une à l’autre, des monologues surtout, mais le plus souvent adressés : tu fais ci ou ça… qui pointent le conditionnement, interrogent le libre arbitre dans un univers plombé par la fabrique des assignations voulues par le patriarcat. Ou qui prônent la rébellion.
Les mots restituent les trajectoires de personnalités iconiques (le spectateur en reconnaîtra quelques-unes). Passent aussi quelques voix enregistrées (Delphine Seyrig…). Quelquefois elles sont embringuées dans des histoires tellement tordues que personne n’y comprend plus rien, y compris elles-mêmes (Mulholland Drive).
Vers la fin, Sigourney Weaver (dans la franchise Alien) est embarquée dans le rapport au temps, à l’âge (ses démêlés avec la production aussi) : une lutte – souvent drôle – avec les monstres et les machines ! Et si les effets spéciaux n’étaient qu’une énorme érection technologique ?
Car un parfum de sexualisation flotte en permanence, et aux États Unis, les auteurs sont tenus de dénoncer l’Eve tentatrice : le Hays Office veille au grain. Sauf qu’il s’est piégé lui-même : Depuis que les femmes sont entrées dans la chambre à coucher, elles y sont enfermées. Or les enfants, à un moment, il faut bien les faire et pour ça les mecs doivent bander…
Le son, la musique installent ce lieu : le CINÉMA, ils donnent la densité mythique et le parfum entêtant de souvenirs vécus ou fantasmés comme le décor qui semble sorti d’une toile de Hopper (cinéphile assidu !) avec ses néons assommés par les couleurs sourdes et les plafonds bas, un espace intermédiaire où transitent ces êtres en suspension, qui nagent entre leur vie et leur chimère sur l’écran… qui doit censément être la vie.
À la fin, s’active une petite main, âgée, usée comme l’est ou le sera la majorité de celles qui passent là avant d’aller admirer ces femmes météores que sont les actrices. Quelquefois elle croit en reconnaître une… dans le doute, elle continue à servir le pop-corn, à passer l’aspirateur. Puis éteint la lumière…
avec Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios, Léa Sery
mise en scène Émilie Capliez
scénographie Alban Ho Van, lumière Kelig Le Bars,
costumes Caroline Tavernier, musique Sylvain Jacques
Le texte de la pièce :
Pauline Peyrade, Des femmes qui nagent (Les Solitaires Intempestifs, 02/03/2023, 14 €)
portrait après blessures
L’ATTENTE
Anna Malagrida à La Filature, galerie
#EXPOSITION
galerie de La Filature, Scène nationale de Mulhouse du 17.01 au 5.03.2023
commissariat : Emmanuelle Walter

Paris. Paris soldé, Paris désiré, Paris barricadé, Paris confiné…
De 2008 à 2020, Anna Malagrida a photographié et filmé une capitale en déshérence, en suspension : les stigmates pérennes ou fugaces de crises récurrentes que son regard transforme en artefacts archéologiques. Quatre séries et une boucle vidéo avec toujours la volonté d’inscrire son travail au-delà de l’anecdote du moment, dans le temps long celui de l’Histoire, mais aussi de l’histoire de l’art.
Pour sa série la plus ancienne (2008-09), LES VITRINES, celles de commerces en faillite suite à la crise des subprimes, la Fondation Mapfre (Madrid) a produit des tirages en grands formats pour donner aux clichés le caractère épique de la peinture. Le blanc de Meudon appliqué d’un geste vif et large sur les devantures offre un fond organique qui s’enrichit d’inscriptions, de grattages, de collages et aussi des reflets sur le verre à la fois frontière et miroir : éléments de façade, réverbères, silhouettes… La photographe cueille ces témoignages urbains denses, concrets et les mue en œuvres abstraites évoquant Tàpies.
Avec les magasins de luxe barricadés pendant la crise des Gilets jaunes (PARIS BARRICADÉ, 2018-19), elle prolonge ce subtil jeu pictural où le rose pâle du contreplaqué alterne avec le jaune mouillé de l’aggloméré. Des protections provisoires et dérisoires posées le vendredi, déposées le lundi… Des marques de paupérisation ajustées dans la modénature néoclassique des quartiers chics, déserts le dimanche quand elle les photographie. La série est en dialogue avec un assemblage de panneaux récupérés et tagués de cet intrigant « LES MONSTRES SONT A »…
Si nécessaire, elle invente un dispositif : un affût près des Invalides transformant son cadre en théâtre d’ombres et de lumière hanté de rares passants masqués (ou pas) pendant le confinement (LES PASSANTS, 2020-21) ou cet entre corps dans un bar PMU à côté de Beaubourg pour honorer la Carte Blanche PMU dont elle est lauréate (CRISTAL HOUSE, 2016). Elle y filme les parieurs – majoritairement des migrants – qui, les yeux captés par l’écran, rêvent d’une nouvelle vie grâce à quelques euros et beaucoup d’espoir. Entre leurs corps résolument anonymes, des brèches de lumière vers la rue et son flux incessant de passants : des captures d’écran juxtaposées avec la fragilité hachée des films muets suggèrent des trajectoires qui se croisent sans se rencontrer… Et toujours cette affiliation à la peinture avec le ballet des mains des joueurs comme chez de La Tour ou Caravage, des gestes gracieux et expressifs, mais sans les tickets, jetés à terre, déchus, perdants.
En 2010 depuis une galerie d’art (dispositif qui évoque Clouzot filmant Picasso), elle filme LE LAVEUR DE CARREAUX qui voile la vue vers la rue, puis la rouvre pour le spectateur. Son geste pictural et chorégraphique matérialise l’épaisseur d’une frontière dont Anna, ici comme ailleurs, saisit la densité immatérielle.
Les blessures produisent aussi de la lumière (Fabrice Melquiot) et Anna Malagrida sait la capter : la lumière d’un monde en attente.
En attente de guérison ?
expression répression
ANTIGRAFFITISME
de Jean-Baptiste Barra & Timothée Engasser
#LIVRE (essai)
chez le passager clandestin, janvier 2023 (160 p., 20 €)

Les auteurs, eux-mêmes grapheurs, présentent dans une grande partie du livre la diversité des techniques utilisées par les autorités pour lutter contre cette « pathologie susceptible de contaminer les espaces urbains » (p. 10). Effacement bien sûr et depuis longtemps, mais désormais prévention (coûteuse) avec des moyens de plus en plus sophistiqués pour éviter ces « souillures ».
Le premier grand moment du graffiti date de la répression de la Commune de Paris. Dès mars 1871, les murs remplacent progressivement la rue tant pour les revendications que les hommages aux victimes : des mots contre le sang. D’emblée les autorités affichent une ardente volonté d’effacement. Écrire, c’est l’apanage du pouvoir : c’est lui qui hiérarchise, catégorise, criminalise et sacralise les écritures. Effacer devient alors un moyen de purifier les espaces, de les ordonner pour ensuite mieux les sécuriser (p. 10). D’autant plus que depuis une vingtaine d’années, notamment sous l’égide du préfet Haussmann à Paris, se sont imposés des tracés et une gestion hygiénistes de la ville au nom de la fiction du « vivre-ensemble » (p. 43) et, plus confidentiellement, en cas d’émeutes, propices au déploiement des canons et des charges de cavalerie.
Cette logique d’invisibilisation des messages subversifs se traduit par une concurrence acharnée (et dispendieuse) entre les grapheurs et les autorités qui se prolonge au tribunal avec un progressif renforcement des peines légitimé par la « théorie de la vitre cassée [1] ». Le nettoyage des graffitis devient une sorte d’allégorie de la lutte contre la criminalité (p. 55).
Cette concurrence se double d’une course-poursuite industrielle entre la pérennité des peintures et l’efficacité des solvants, de nouveaux revêtements. S’ouvre ainsi un véritable marché du graffiti. Il s’invite dans les opérations de réfections voire dans l’élaboration des projets (cf. la bibliothèque de Los Angeles dessinée par Franck Gehry) avec désormais en ligne de mire la smart city.
Plus récemment le discours sur l’art s’est invité dans le débat et a ouvert une voie alternative : la récupération de l’art urbain par la commande publique. Le street art institutionnel, comme la statue, agit en tant que symbole et récit fictif d’une histoire commune (p. 124) avec un rôle gentrificateur – comme un temps la piétonnisation – et une mise en patrimoine (promotion des friches rénovées avec ses start-up, ses fresques…).
Un jeu du chat et à la souris détaillé avec une certaine gourmandise par les auteurs : les grapheurs semblent faire peser sur la paix sociale une menace aussi effrayante que le font Fantômas ou Joker. Cette présence têtue et ostensible du transgressif rappelle aux pouvoirs publics que le consensus est un mythe politique. Ainsi, sous les enjeux de propreté, se joue l’appropriation par la force de l’espace urbain par les autorités au détriment des habitants, des usagers : l’antigraffitisme est une forme particulière d’iconoclasme (p. 141) qui aboutit finalement à rendre la ville silencieuse.
Pour l’offrir à la communication publicitaire ?
[1] ne pas réparer un carreau brisé sur un édifice entrainera potentiellement la destruction de toutes ses fenêtres et le développement de la criminalité aux alentours (p. 46), analogie développée par James Wilson et Georges Kelling en 1982
chair/glaise en liquide incandescente
Vessel de Damien Jallet & Kohei Nawa
#DANSE
représentation du 15/01/2023 à La Filature, Mulhouse, Quinzaine de la danse

Forme animale et machine organique : deux caractéristiques des œuvres du sculpteur Kohei Nawa qui ont fasciné Damien Jallet et éveillé son envie de collaboration. Elle s’est concrétisée par cette pièce lors d’une résidence de quatre mois à la Villa Kujoyama à Kyoto (équivalent de la Villa Médicis au Japon) avec une création en 2015 (pour trois danseurs initialement).
Présenté à l’occasion de la Quinzaine de la danse, Vessel est le deuxième volet du portrait consacré au chorégraphe par La Filature.
Nuit noire. Émerge un frémissement, au son, à l’image. Se devine un cratère calcaire, un nid cérusé, un vaisseau posé sur un film d’eau. Autour enfle un grouillement animal : des créatures des grands fonds, d’outre-monde ?
Des corps noués par paire dont les membres mandibules brassent au rythme des courants. Des corps presque nus, blanchis par la lumière, en gémellité avec leur reflet sur le miroir liquide. La lenteur (le plus souvent), l’épure et la poésie des images convoquent inévitablement le butō. Manquent les visages (sauf un des danseurs à la toute fin).
Quand les corps se détachent, ils sont presque constamment cassés en deux, les bras rabattus vers la nuque masquant tête et visage, affichant la membrane du dos des danseurs : des faces gigantesques d’une fascinante expressivité avec les clins d’œil des omoplates, les sourires des biceps, avec des mouvements pulsatiles, des déplacements saccadés, en crabe. Des anatomies matière : supports plastiques et acteurs d’une monumentale sculpture en respiration qui d’Urwelt s’élabore en Welt. Des organismes bruissant en quête d’incarnation comme si, tombés à terre, des rescapés de La Porte de l’Enfer de Rodin se ranimaient, empruntaient ce passage entre vie et mort que suggère le titre.
Souvent Damien Jallet joue la symétrie, mais celle organique de la cartographie musculaire, des déplacements, des gerbes d’eau et des reflets. La fascination est d’autant plus hypnotique que les postures sont contorsionnées, les bras en articulation. Pourtant ces gestes d’une vie silencieuse, ces mouvements sont d’une aisance limpide, d’une orchestration morphologique qui semble s’abstraire de l’effort.
La musique liquide, murmure des grands fonds, s’autorise des grincements, lâche quelques tutti et de sauvages éclats de percussions.
La lumière fait émerger d’une obscurité qui favorise l’effet miroir la carnation laiteuse des corps, éclabousse les plis et replis de l’anatomie des sept danseurs burinant les creux d’ombres.
Les deux artistes nous livrent un spectacle d’un incandescent noir et blanc – les deux couleurs de la mort – où la chair/glaise en travail accouche d’un palpitant éveil à la vie ! Dense et fugace…
Comme le suggère René Char : Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri.
avec Aimilios Arapoglou, Nobuyoshi Asai, Ruri Mito, Jun Morii, Mirai Moriyama, Astrid Sweeney, Naoko Tozawa
chorégraphie Damien Jalet, scénographie Kohei Nawa
musique Marihiko Hara & Ryūichi Sakamoto
lumière Yukiko Yoshimoto
THR(O)UGH + VÏA
Le troisième volet du portrait du chorégraphe sera présenté les 16 & 17 mai (à 20h).
Fasciné par les rituels et les états de tension notamment entre naturel et surnaturel, Damien Jalet, a monté THR(O)UGH avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève. La pièce puise sa gravité dans le souvenir personnel des attentats du 13 novembre 2015 à Paris dont le chorégraphe fut témoin et rescapé.
La danse jusqu’à la transe tout comme VÏA (Fouad Boussouf) présentée en seconde partie de programme.
tissu cicatriciel
Ceux de la nuit de Sarah Leonor (2022)
#CINÉMA
documentaire sorti en salle en janvier 2023 (France, 70 min) // séances sur Première

Ceux de la nuit, ce sont ces invisibles (et qui veulent le rester) que Sarah Leonor ne filme pas et que personne ne voit sauf la police et les maraudeurs.
Pourtant ils sont omniprésents.
À l’image, par ces lambeaux d’écorché – un bout de vêtement, un sac accrochés à une branche comme les stigmates de notre barbarie ordinaire –, les tags des activistes ou ce travelling hésitant cherchant la tombe de Blessing Matthew : à l’écart, au fond du cimetière, exilée jusque dans la mort. Et puis vibrante de vie – la chouette, les avant-plans de nature, les paysages… –, cette puissance lyrique mais impitoyable de la montagne (surtout avec l’hiver dans la deuxième moitié du film) qui les guette, les surplombe, les menace.
Au son, avec la respiration de la nature – le vent, le chahut des eaux, la Durance – et les récits : celui de ce territoire entre le col de Montgenèvre et Briançon ancré dans l’histoire avec déjà la traversée par les Piémontais au XIXe, par les Siciliens au XXe, les souvenirs de Sarah qui venait y skier et les témoignages des maraudeurs, des réfugiés recomposés (à partir d’entretiens audios) en quelques personnages et dits par six comédiens. Une élaboration inspirée de la fiction, mais qui restitue le vécu avec une crudité plus dense qu’un direct.
La réalité palpable des migrants surgit de cette confrontation des images et du son, se nourrit aussi d’archives et d’extraits du Chemin de l’espérance de Pietro Germi. Comment ne pas penser à Chris Marker, à son Sans soleil notamment ?
Et il y a cette autre réalité ludique des sports d’hiver et des activités de montagne affichés au grand jour et qui s’invite de la même manière : à l’image avec des infrastructures qui modèlent le paysage et par la voix des maraudeurs (dont c’est le gagne-pain) qui racontent comment ils ont pris conscience qu’après la fermeture des équipements de loisirs, des ombres se lèvent et tentent de traverser la frontière.
En creux il y a aussi le travail de ces géographes qui permettent de décrypter notre monde à partir de son espace et d’identifier les enjeux de pouvoir : Martin, une des voix off, Élisée Reclus que cite la réalisatrice (et, par ailleurs, Christophe Guilly et sa France périphérique ou Guillaume Faburel et ses Métropoles Barbares).
À la fin, comme après un mauvais rêve, la réalisatrice rembobine le film – l’avalanche remonte la montagne – comme si Blessing n’était pas tombée dans la Durance et s’incarnait en Eunice bien vivante avec la promesse de son fils Wisdom.
Le grand mérite de Ceux de la nuit est de restituer la présence de ces migrants dans leur densité palpable d’êtres humains alors que la majorité de la population ne les voit guère même s’ils sont omniprésents (une récurrence dans les discours médiatiques). Sarah Leonor la pose aussi en termes de tragédie. Avec sa caméra, elle arpente la cicatrice où ce qui se revendique civilisation déraille : Leur mondialisation n’a pas prévu le surgissement de l’humain. Elle n’a prévu que des consommateurs (Patrick Chamoiseau, Frères Migrants, 2017).
avec les voix de Françoise Lebrun, Solène Rigot, Adrien Michaux, Damien Bonnard, Olivier Rabourdin, Hovnatan Avédikian
Labiche en apnée
Das Weisse vom Ei (Une île flottante)
Christoph Marthaler d’après Eugène Labiche
#THÉÂTRE
représentation du 10/01/2023 à La Filature, Mulhouse

La pièce de Labiche est un jeu de dupes qui doit sceller un marché de dupes : le mariage de Frédéric Ratinois avec Emmeline Malingear. Deux familles banalement petites bourgeoises qui se poussent du coude et se saignent pour se donner un vernis de grande bourgeoisie. Marthaler y ajoute un ingrédient de cacophonie et d’incompréhension supplémentaire : les Ratinois sont Allemands. Les costumes d’inspiration XIXe se prolongent par un décor surchargé d’un kitch suranné.
En ouverture, les huit protagonistes entrent à petits pas pluvieux et tentent, a capella face au public et en franco-allemand, d’exposer leur situation – pour plutôt l’embrouiller – trahissant surtout qu’ils ne sont que les copies conformes les uns des autres.
Quand le rideau se lève, le spectateur a l’impression de pénétrer dans un monde vieillot et poussiéreux, hanté par des vieux – y compris les futurs mariés. Une usure du temps dont Marthaler fait son miel en dilatant les silences entre des répliques banales (surtout au premier acte). Les personnages assument cette inertie au son poussif du tuba et des cloches qui sonnent presque en permanence comme un glas. Un choix à contre-courant de la tradition des portes qui claquent et du tempo endiablé habituel dans ce répertoire. À l’occasion, l’un entonne une chanson dont l’énergie relance le rythme de la représentation dans un esprit proche des Monty Python.
La mise en scène joue sur le comique de situations où les corps s’empêtrent avec des accessoires, des manies obsessionnelles et leurs propres limites (celles des mensonges…). Un burlesque évoquant Jacques Tati est poussé vers l’absurdité en l’étirant jusqu’à l’étouffement. Les rires du public sont fréquents, mais dispersés, éclatés, conditionnés par ce temps qui enfle et, parfois quand même, épuise l’effet comique.
À la fin on range, on évacue tout. Pour laisser la place à un nouveau monde ? Affaire classée tout simplement…
Avec ce dispositif radical, la pièce reste drôle et critique à la fois de cette petite bourgeoisie arriviste et vaniteuse qui apparaît peut-être plus pathétique…
Chacun passe sa vie à jeter des petites pincées de poudre dans l’œil de son voisin… Pourquoi fait-on de la toilette ? Pourquoi a-t-on des diamants, des voitures, des livrées ? Pour les yeux des autres ! (Eugène Labiche, La poudre aux yeux, AI, s6)
Et, à propos, pourquoi fait-on du théâtre ?
avec Marc Bodnar, Carina Braunschmidt, Charlotte Clamens, Raphael Clamer,
Catriona Guggenbühl, Ueli Jäggi, Graham F. Valentine, Nikola Weisse
scénographie & costumes Anna Viebrock, dramaturgie Malte Ubenauf
Quinzaine de la Danse
5e édition du 12 au 31 janvier 2023
#DANSE
Espace 110 (Illzach), La Filature, CNC–Ballet de l’Opéra du Rhin, Théâtre de la Sinne & Musée des Beaux-Arts (Mulhouse), La Passerelle (Rixheim), VIADANSE (Belfort)
11 spectacles du 12 au 31/01/2022
Le 12 janvier, Thomas Ress, directeur de l’Espace 110 à Illzach, ouvrira la 5e édition de La Quinzaine de la Danse, un festival qu’il a lancé en 2017. Le marqueur de 2023 est l’intelligence collective avec l’envie de partager et faire rayonner ce langage universel avec 11 spectacles sur 5 scènes.
Le collectif avec une synergie financière et logistique et la volonté de favoriser la diffusion des compagnies et des chorégraphes accueillis.
L’intelligence avec cette collaboration harmonieuse et l’ouverture vers des formes très diverses : des valeurs reconnues ou émergentes, des propositions spectaculaires ou plus intimes souvent engagées. Et aussi des ateliers, des échanges et même du cinéma (Pathé-Gaumont Belfort : Tous les autres s’appellent Ali de Fassbinder).
Une manifestation où chaque structure préserve son identité.
La Passerelle à Rixheim avec Le Petit B destiné au jeune public dès un an (20 & 21/01).
Le CNC–Ballet de l’Opéra du Rhin avec sa troupe et Giselle, une production de sa saison avec l’ONR (27, 29-30/01) : une relecture de ce classique du XIXe (les perfectos remplaçant les tutus) par Martin Chaix qui travaille avec les codes de la danse académique, mais avec une énergie contemporaine.
La Filature avec notamment (le 19/01) un retour sur le parcours de Catherine Diverrès – la Pina Bauch française pour Benoît André – qui sera aussi accueillie à VIADANSE–CCN de Bourgogne Franche-Comté à Belfort (14/01).
L’Espace 110 prolonge cet hommage et programme à lui seul 5 spectacles et une exposition.
Enfin des visites dansées proposent un autre regard sur la collection du Musée des Beaux-Arts de Mulhouse (Aurélie Gandit, les 27 & 28/01).
À noter All où Marie Cambois fait converger danse et théâtre (Espace 110, 20 & 21/01), 27 millions de fois par seconde, création de la Compagnie RN7 (Espace 110, 24/01) et bien sûr Vessel du grand Damien Jallet et Kohei Nawa (Filature, 15/01).