© photo André Wagner
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Elle fixa l’écran.
Est-ce qu’on mettrait un chien en cage ?
Comme elle dans ce grand aquarium ?
Sur un des côtés, le moniteur et, comme le quatrième mur d’un théâtre, la webcam dont le regard inquisiteur autopsiait son corps. Elle avait en permanence conscience du volume que ce mouchard électronique inscrivait dans l’espace quand elle se déplaçait. Elle sentait qu’il la suivait, s’adaptait à ses itinéraires minuscules. Quand elle zoomait, elle le sentait se contracter.
Se réduire à ces écrans de contrôle et leurs sinusoïdes blafardes. Avec la scansion obsédante des bips. Les pistons alignés qui alimentaient le corps de son homme offert en ordalie médicale. Un corps en souffrance, une souffrance organique. Comment pouvait-il en être autrement ?
Un corps tenaillé par l’effort pour rester en vie. Un instinct, attisé par la technologie qui palliait à l’épuisement des organes. La pompe qui emplissait les poumons. Les perfusions qui conjuraient la douleur, instillaient médicaments et sucs de survie dans les veines. Les électrodes scotchées sur la poitrine.
Et les spasmes aux mots prononcés. Des sonorités gravées dans le cerveau reptilien qui suscitaient d’infimes convulsions. Une fugitive envie de communiquer, de rester avec ravalée par le coma chimique.
Sa viande à elle s’exposait sur d’autres écrans. À des regards ardents, poissons pilotes de corps en attente, intensément vivants, eux, mais réduits à la commotion du sexe à distance. Onanique avec les photons d’une femme qui écrivait obscénités et douceurs. Icône familière à force de s’afficher aux mêmes heures, jour après jour, dans les mêmes poses aguicheuses sur leurs écrans quêteurs. À transformer l’ennui en sourires, à s’effeuiller suggestivement. Puis couper la connexion. Dissoudre son image.
Se laver les mains dans le vestibule du service comme on se signe à l’entrée d’une église. Passer des surchaussures, coiffer une charlotte, enfiler une blouse. Froissement glaçant du plastique. Rituel de rigueur pour pénétrer dans la chambre et y passer la demi-heure quotidienne. Veiller son corps livré à la chaleur estivale. Raser sa barbe un jour sur deux. Poser la main sur son bras nu. Entre le sparadrap du coude et la perfusion du poignet. Peau contre peau. Puiser à travers l’épiderme le contact que les mots peinaient à établir.
Des phrases courtes, bourrées d’abréviations, ponctuées d’émoticônes. Des allusions grivoises pour attiser les premiers curieux. Le tambourinement de ses doigts sur le clavier évoquant la cadence des gouttes de pluie. Pianotage et papotage : les deux mamelles du Web. Du plus futile au plus sérieux. Derrière elle, musique nulle et décoration kitch. Un coussin rouge en forme de cœur brodé du mot Love en strass pour le romantisme. Un lapin rose pour le clin d’œil érotique. Des peluches aux couleurs criardes, un godemiché, des boules de geisha. Du Disney version adulte.
Le sexe sans amour n’était-il pas un jeu de grands enfants ?
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automne 2015