εphεmεride 2025

un regard et des choix – forcément subjectifs – sur l’offre culturelle 2025…
#LIVRES : La mémoire des murs (F. Saur/L. Maechel), La société de l’expérience. Le consumérisme réinventé (Steven Miles)
#CINÉMA : Goliath, Germaine et moi (G. Morinière)
#EXPOSITIONS : Raymond-Émile Waydelich (MAMCS, Strasbourg), Matisse (Beyeler, Riehen/Bâle), Paula Rego (Kunstmuseum Basel | Neubau), Enfantillages (Galerie Heitz – Palais Rohan, Strasbourg), Kunstzeit (Primeo Energie Kosmos, Münchenstein/Bâle), La bibliothèque fantastique (musée Würth, Erstein), les 400 ans du clavecin Ruckers (Unterlinden, Colmar), Mode d’emploi (MAMCS, Strasbourg)
#THÉÂTRE & MUSIQUE :
@SAISONS 2024-25 : Opéra national du RhinLa Filature (Mulhouse) • Comédie de ColmarEspace 110 (Illzach)

@avant-papier sur présentation de presse et documents remis
Sur la page d’accueil, des informations actualisées sur les évènements encore accessibles.

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en quête du paradis perdu

Goliath, Germaine et moi
de Gwladys Morinière (2024)

#CINÉMA
documentaire tourné entre 2005 & 2023, sorti en salle en octobre 2024 (France, 90 min)

Germaine & la réalisatrice (à droite) © rue 89

Après une vie de commerçante prospère et le décès de son mari, Germaine entame une retraite engagée et militante. La réalisatrice la rencontre lors d’une « Caravane pour la Palestine » en 2005 et la filme pour la première fois : elle a 76 ans.
Elle la retrouve quelques années plus tard dans les manifestations contre le Grand Contournement Ouest de Strasbourg et décide de nouer leur amitié en lui consacrant un documentaire. Hasard de l’Histoire, les Gilets Jaunes, une pandémie et le confinement s’invitent comme nouveaux terreaux de luttes. De répression et de doutes aussi…

Des images édéniques ouvrent le film : un faon s’invite au pique-nique de la famille. Germaine le biberonne, ses enfants le caressent. La patine du Super 8 renforce l’aspect bucolique de Kœnigshoffen, ce quartier de Strasbourg verdoyant dans les années-cinquante aujourd’hui bétonné.
Entretemps elle s’est retirée plus loin, à Kolbsheim. Là aussi la forêt voisine doit être rasée au profit du GCO : un serpent de mer vieux de plus de trente ans qui se concrétise en pleine crise climatique. Les opposants regroupés en collectif organisent la résistance et multiplient les recours. Germaine participe aux manifestations sur place, à Strasbourg, aux célébrations festives et cultuelles (enterrement symbolique d’un arbre), aux réunions, aux rassemblements devant le tribunal… et à la dénonciation des services de l’État en délicatesse avec le droit et l’exemplarité.
Le 10 septembre 2018, pour ouvrir la voie aux tronçonneuses et aux bulldozers de Vinci, la police intervient. La nonagénaire est gazée sans ménagement tout comme les élus (les députés José Bové & Martine Wonner, le maire de Kolbsheim Dany Karcher). Des photos en stock-shot montrent l’intervention et en atténuent la brutalité…

Avec le mouvement des Gilets Jaunes, puis l’opposition aux contraintes liées à la pandémie, une agrégation des manifestations s’opère à défaut d’une convergence des luttes.
Germaine est omniprésente, s’incarne en passionaria entourée avec respect et enthousiasme. Son verbe est haut, sa cour est pressante et admirative. Elle est une figure fédératrice, un personnage inspirant plutôt qu’un tribun. Cependant face à la maréchaussée surarmée, elle dénonce « les requins de la finance » comme la « destruction de notre belle nature ». En face les expressions sont gênées : l’âge de l’égérie sans doute, peut-être aussi de sentir qu’ils sont le bras armé d’une société fatiguée et fracturée qui tente de préserver ses lambeaux en imposant un « Absurdistan autoritaire » (Die Zeit, 12.11.2020).

Assise dans son séjour, l’œil malicieux, elle montre et lit les slogans griffonnés sur les enveloppes de ses courriers, commente la politique, le népotisme, le « théâtre » du pouvoir, invoque la profondeur dans le temps des luttes : les petits commerces de sa jeunesse sinistrés par une administration tatillonne et favorable aux supermarchés. Elle accueille aussi des réunions et plaisante sur les risques judiciaires !

En écho, des animations – blanc sur fond noir – rythment le film et la voix de la réalisatrice suggère les enjeux, articule le passage du temps et des luttes. Le personnage métaphorique de Goliath lui permet d’installer une entité qui incarne aussi bien Vinci qu’un système protéiforme qui profite des working poor, des mesures sanitaires et parvient à prolonger ce temps de tous les possibles (à son bénéfice) grâce à la puissance publique.

Le glissement de la septuagénaire rayonnante de vitalité dansant avec les Gazaouies en 2005 vers la vieille dame recroquevillée dans un fauteuil roulant poussé par son amie Malika illustre la marche du destin et esquisse une métaphore.
Le corps comme le militantisme atteignent leurs limites…
Vers la fin, la réalisatrice se filme jardinant dans sa ferme vosgienne acquise depuis peu : sans doute qu’elle aussi pourra recueillir un faon égaré, mais Le cri de détresse d’un seul gouverné ne vient pas à bout du tambour (Ahmadou Kourouma / En attendant le vote des bêtes sauvages, 1998).

images, son Gwladys Morinière, Laurent Marboeuf, Hervé Roesch
montage Gwladys Morinière, Agata Bielecka, Andrea Pica
production & diffusion (avec les dates de projection) L’Humaine prod
contact lhumaineprod@yahoo.com