présence jubilatoire des fantômes
Living Systems
Carola Bürgi & Pierre Muckensturm
du 17 juin au 29 juillet 2023 Galerie La Ligne (Zürich)
art construit, art concret…
« concret est le contraire d’abstrait » (Max Bill) et « rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne » (Theo van Doesbourg)
des mots des années trente
d’autres ont suivis et au moins quatre générations se sont succédées : les indices d’une belle vitalité
et si la rigueur est au rendez-vous, François Morellet (1926–2016) était connu pour son humour !
Pierre Muckensturm cultive avec finesse cette dichotomie entre logique d’ordonnancement et esprit frondeur.
Il y a réflexion certes, et élaborée, mais aussi, surtout une inventivité jaillissante – ses séries indiquent qu’elle a peu de limites – et de l’humour.
Pierre ne fait pas de l’art pour s’ennuyer ou édicter pompeusement des dogmes, encore moins pour rebuter l’amateur.
S’il s’empare de règles, c’est pour les mettre en œuvre avec une obstination jubilatoire, les tournant, les contournant, les détournant, les chantournant jusqu’à une déstructuration qui proclame leur vacuité.
Et il parle avec feu du chaos qu’il provoque, car il a surtout envie de vivifier ce joyeux « bordel » avec des propositions qui revendiquent le nonsense tel que l’entend Ludwig Wittgenstein :
« La plupart des propositions et des questions qui ont été écrites touchant les matières philosophiques ne sont pas fausses, mais sont dépourvues de sens. Nous ne pouvons donc en aucune façon répondre à de telles questions, mais seulement établir leur non-sens. » (Tractatus logico-philosophicus, 4.0031)
Il s’amuse des grands carrés exposés à Malraux rendus inaptes à enfermer par l’entasis, se moque des premières machines de Vera Molnar incapables de tracer des droites, échafaude des ras-le-carré…
Cet enthousiasme discrètement subversif produit ces variations autour du plotter de Vera, ces frettes crénelées amputées de leur moitié par le bleu du cordeau, l’oblitération sous une quantité telle de carrés qu’il ne reste que quelques poussières du monde si consciencieusement régulé en amont.
Avec son ingénuité géométrique, ne pointe-t-il pas ce travers de nos sociétés qui produisent quantité de règles… inopérantes ?
Mais ces jeux de manipulation qui naissent souvent sur l’écran – l’outil informatique lui permet d’épuiser la totalité des déclinaisons possibles – montrent avant tout la formidable liberté du détournement.
Et cet hédoniste conceptuel contamine la mise en œuvre.
La trace poudreuse du fil de maçon ne pouvant être fixée sur la toile préparée, Pierre détaille avec gourmandise sa façon de reprendre le trait par l’acrylique et tout son savoir-faire de peintre afin de préserver l’image initiale. Là aussi, le plaisir du geste pictural manipule ! Accessoirement il retrouve en sensualité sur le tableau une pratique archaïque qui évince la modernité (le laser remplace de plus en plus le fil et le traceur de maçon).
Son plaisir est manifeste même quand il évoque les gabarits fournis aux collectionneurs pour accrocher ses pièces.
La rigueur est l’ennemi de la vie et, en déstructurant les règles qui l’imposent, Pierre leur invente une autre vie. Comme une fiction qui en remplace une autre (souvent triste).
Quand il ne restera plus rien, la dernière chose qui subsistera, ce n’est pas la culture, mais la vie et les œuvres de Pierre Muckensturm vibrent et vivent !
Car l’art véritable, n’est-ce pas la vie magnifiée ?
Vera et son plotter ont un penchant pour Aurelie
(sculpture murale technique mixte, 76 éléments, 115 x 220 cm, 2023)
des modules similaires accrochés en apposition, en opposition
la géométrie est rigoureuse d’un côté, pressurée de l’autre
l’écume vive de la dentelle malmenée affleure en raccourci
magie des ombres en mouvante résille sur le mur blanc
sur les croix – celles d’Aurelie –
en creux
Extraits de frettes avec entasis sur tracé au bleu
(acrylique, gesso, crayon de couleur & pigments sur toile, 60 x 140, 2022)
une frette crénelée au hasard des archives
le tracé du cordeau de maçon sectionne la partie basse
la scansion du blanc massif l’oblitère
des vestiges à entasis se dressent en contrepoint
le poudroiement d’éclats bleu adoucit la fermeté
l’oblitération chez Pierre produit ces fantômes
qui ne sont ni peints ni dessinés
mais font surgir d’autres images
par l’évidence de leur présente absence
Extraits de double frette ou XXIII 13 115
(acrylique sur toile, 20 x 60 cm, 2023)
multiplication, superposition de carrés
absents
les fantômes de carrés évaporent le motif
subsiste une poussière de monde
du monde d’avant
celui des règles
fantômes d’entasis
vaporisées sur le blanc du fond
en minuscules fragments
Au ras du carré intérieur et extérieur
(peinture diptyque, 2 x 40 x 40 cm, 2023)
méandres oblitérés
carrés fantômes
pulsation intérieur extérieur
d’une toile à l’autre
d’un carré à l’autre
ras-le-carré impose le carré
PIERRE MUCKENSTURM
plus ou moins
deux virgule deux degrés
de fantaisie orthogonale
L’artiste alsacien Pierre Muckensturm a été invité par l’Espace d’Art Contemporain André Malraux à Colmar pour une exposition monographique et a conçu pour l’occasion un portfolio de douze estampes.
Accrochée au début du deuxième confinement (novembre 2020), elle s’est finalement tenue du 19 mai au 26 septembre 2021.
Une vidéo de l’accrochage est visible ci-dessous et celle de l’impression des typographies sur une presse Heidelberg un peu plus bas suivie du texte écrit en écho des estampes du coffret.
La notice de salle est lisible en fin de page avec l’itinéraire de l’artiste.
L’avant-papier est paru dans l’Hebdoscope, n° 1071, novembre-décembre 2020.
En raison du confinement, l’ouverture, programmée le 7 novembre 2020, a d’abord été repoussée au 15 décembre, puis au mois de mars 2021. Finalement c’est la date du 19 mai qui bruissait dans les arcanes décisionnels qui sera la bonne :-)
La culture, cette étincelle possible de civilisation (de Vie tout court ?), s’est installé durablement dans un flottement spectral… comme l’ensemble de notre société (au sens de faire société – le vrai lieu de la solidarité –, l’exact inverse du « faire nation » qui n’est qu’une injonction pyramidale).
Accrochage de la fantaisie
Flottement spectral
Le monde a perdu ses chemins.
Günther Anders (L’obsolescence de l’homme, 1956)
Le vernissage était prévu le vendredi 6 novembre à partir de 18 h 30.
Les invitations étaient imprimées.
Elles sont restées à quai sur le présentoir de l’accueil.
Pierre préparait cette monographie thématique depuis un an. Les œuvres étaient prêtes et leur transfert programmé.
Le jeudi 29 octobre, lui, Fabrice, Tim les ont déménagées des hauteurs vosgiennes vers le white cube de l’Espace d’Art Contemporain André Malraux à Colmar.
Le soir même à minuit, le confinement a abattu sa chape de plomb sur le pays pour la deuxième fois.
Avec brutalité : à peine vingt-quatre heures après l’annonce.
Avec indécence : le détail des mesures n’est livré qu’une poignée d’heures avant le lock-out comme si l’état d’exception était déjà une routine !
Avec désinvolture : dix jours auparavant, un ministre incitait encore à réserver pour les vacances de la Toussaint !
Avec condescendance : la maréchaussée serait tolérante envers les retours précipités…
Un « Absurdistan autoritaire » selon l’hebdomadaire allemand Die Zeit (12/11)… Un processus « monarchique » « désastreux » (Frankfurter Allgemeine Zeitung) qui « infantilise les Français » (Süddeutsche Zeitung).
Au quotidien le désarroi est palpable.
Chaque soir depuis le printemps, les morbides statistiques qui accaparent les corps morts avec une obscène indignité et le fourre-tout chaotique des déclarations prophétisent notre imminente contamination.
Lors du dernier jeudi de liberté, une effervescence en suspension hantait les rues avec un sentiment d’urgence désabusé : prendre les dernières dispositions avant de se barricader.
Dans ces conditions… accrocher quand même ?
La proximité de l’artiste permettait de transférer les œuvres sans contraintes, de les accrocher selon le planning prévu, possiblement d’organiser le workshop avec la classe préparatoire de l’école d’arts plastiques.
Et surtout de tenir l’exposition et le lieu prêts à ouvrir dès que le séquestre serait levé !
Un accrochage en apesanteur, en marge d’un monde qui tâtonne dans le doute
Partant de l’entasis, Pierre extrapole la rigueur d’une règle mathématique qui, sortie de son contexte (la correction de la perspective des temples grecs), échoue à ordonnancer. Une règle obtuse qui s’acharne à dresser le monde à sa main et n’y parvient jamais…
Une illusion ludique et généreuse chez Pierre.
Une troublante métaphore de cette époque malsaine.
Si toute réponse est illusion, imposée à tous, l’illusion devient totalitaire…
Mais une exposition est aussi une création.
Dans le white cube, le noir et blanc des travaux, l’alternance des lignes et des aplats se conjuguent avec le blanc des murs, le noir des structures, l’articulation de l’espace, et organisent une chorégraphie du regard entre les cimaises tout en légèreté du rez-de-chaussée avec celles plus denses de la mezzanine. Ce dialogue des œuvres entre elles renforce la logique sérielle du travail de l’artiste et élargit sa réflexion.
Sa proposition métamorphose le black and white des pièces et du lieu en espace total habité par la vibration sonore de la bande-son de [DE GUINGUOIS]. Une vidéo diffusée par un vieux smartphone négligemment posé – comme oublié – sur un cube noir flottant sur le céladon du sol.
Ainsi le white cube devient un espace de méditation d’une aérienne noblesse.
Un lieu désormais désert livré à une irréelle éternité.
Le dernier jour, quelques regards amicaux et avertis se sont invités, ont partagé leurs impressions, leur émotion.
S’esquissaient des suggestions de visites confinées – à cinq, car avec Pierre cela ferait six. D’ailleurs pourquoi six ? Et pas cinq ou sept ? Qui sont des nombres premiers : le jeu mathématique serait légitime, surtout ici.
L’absence de fantaisie n’est-elle pas le piédestal de l’échec ?
S’élaboraient des scénarios prospectifs aussi. Des survivants, des archéologues viendraient dans trois mois, trois ans, trois siècles… Comme dans un tombeau égyptien dont le temps serait la momie.
Ce temps hors du temps, en attente du temps d’après…
D’après quand ? D’après quoi ?
« Notre normalité est une histoire de fantômes… »
De la légèreté de Satie évoquée avec Pierre, nous glissons vers ces mots de Günther Anders et ses sombres prophéties : cette obsolescence de l’Homme, cet Homme de demain à la remorque des machines. L’Homme d’après ?
Car instinctivement surgit la question : mettre l’exposition en ligne ?
Avec l’irruption des barrières, ce sésame de socialisation s’impose comme une évidence, car ceux qui le questionnent sont rares. Ainsi nos traînées photoniques circulent, transitent sur les serveurs (sont potentiellement archivables, peuvent devenir pièces à charge demain : Orwell surgit en reflet dans ce miroir digital). Et nos yeux, nos consciences sont définitivement voués à ces écrans poly fenestrés. Celle du travail en cours s’entoure d’autres fenêtres où s’agitent le boss, le collègue, la maman, la copine, etc. sans oublier le ministre avec son gesticulant interprète, ni celles des médias avec leurs tonitruants jingles qui installent impitoyablement La maladie de la mort* en axe cardinal de notre destin : le kaléidoscope de nos vies schizophrènes distribué par la fibre et régenté par les Gafam.
Avec le confinement, notre temps est pétrifié dans une gelée inerte où les heures n’ont plus trop de sens.
Avec le télé-quelque-chose, devrions-nous aussi anéantir l’espace, nous éparpiller définitivement ?
Les flocons de ce temps confiné ont déposé leur voile sédimentaire sur la Fantaisie.
Jusqu’à quand ?
Le calendrier de déconfinement a autorisé l’ouverture de l’exposition le 19 mai, elle a été visible jusqu’au 26 septembre 2021.
*titre d’un texte de Marguerite Duras
Impression du portfolio
à Gérardmer, chez « En l’Encre Nous Croyons »
sur un vélin BFK Rives
par une Original Heidelberg, une presse typographique à platine de 1965 qui permet de laisser un léger foulage : l’empreinte laissée par la pression de la matrice (un « tampon » en polymère) sur le papier. Une machine impressionnante avec d’un côté la masse des rouleaux d’encrage, les pistons de la mécanique et de l’autre la légèreté de l’hélice qui virevolte pour présenter les carrés de papier.
Le portfolio créé à l’occasion de l’exposition comprend douze estampes (25 x 25 cm). La proposition a été élaborée avec l’imprimeur Christin Georgel. Formé à l’École supérieure d’art d’Épinal (ÉSAÉ), celui-ci a dirigé pendant plus de trois ans l’atelier de production de l’Imagerie d’Épinal et enseigne désormais à la Hear à Strasbourg.
Texte accompagnant le portfolio
Fantaisie orthogonale pourrait être un titre d’Erik Satie. Et il y a dans le travail de Pierre Muckensturm, le même humour pince-sans-rire que chez le compositeur de la Sonatine bureaucratique (1917) et de La Belle Excentrique (1920), le même goût de la parodie sous ses figures d’apparence ascétique.
Chez Satie, il y a la netteté du piano, chez Muckensturm, celle de la ligne noire.
Si l’approche semble économe, mettre en scène cet imperceptible glissement de l’Entasis bouscule l’orthonorme instinctive de nos espaces et au fond provoque et chamboule cette rationalité qui encadre autoritairement nos vies.
Cette économie est une exigence ludique et, si on prend le temps de s’y attarder, joyeuse !
L’Entasis, c’est appliquer une imperceptible courbure de 2,2° qui permet à ce qui n’est pas droit de paraître droit. Pour corriger la légère déformation créée par la perspective, les architectes de l’Antiquité grecque bombaient finement les colonnes de leurs temples pour que l’œil rationnel dresse le cerveau irrationnel à voir une perfection rectiligne absente. Ou au-delà de la perfection…
C’est ce jeu de la règle déréglée qui intéresse et que décline Pierre Muckensturm. Une recherche ludique, une compulsion maîtrisée se déployant en pratique sérielle. Elle génère ces chorégraphies d’équerres tournées, retournées, alignées, désalignées jouant de l’opposition contrastée du noir et du blanc… Les fruits incertains et fragiles de la rigueur mathématique détournée. Des carrés qui s’excusent de ne pas l’être…
Son geste plastique colonise le support, scande la fiction d’une articulation rigoureuse générant de l’instable, du traviole, du doute et finalement une débauche là où aurait dû s’afficher un garde-à-vous.
Une musique pour l’œil (et l’esprit). Une tension de sarabande comme celle d’une partita de Bach avec la même volonté d’épuiser un motif pour accéder à son épure.
Luc Maechel, automne 2020
Notice de salle
Fantaisie orthogonale tourne et détourne la règle – l’Entasis – avec ses chorégraphies d’équerres précaires sur les toiles, mais aussi par le jeu en tension des accrochages : en monômes, en binômes, par trois ou quatre, en damiers, en apposition, en opposition, en oscillation…
Rez-de chaussée
1. 201 C 0011 A+B+C
[3 angles avec entas formant ligne brisée]
carborundum et pointe sèche sur cuivre imprimée sur Papier BFK Rives, 2020
Trois pièces comme les lettres d’un abécédaire.
Une presque verticale avec entas
affrontée à son orthogonale droite,
horizontale ou inclinée, vers la droite, la gauche.
Le jeu détermine l’espace du blanc.
La netteté des lignes articule
le dialogue des surfaces.
2. 196 R 18061 A-I
[9 angles avec entas]
polyptyque au carborundum et pointe sèche sur cuivre imprimé sur Papier BFK Rives, 2019
3. 204 P 1652 A+B
[2 angles avec entas distants apposés]
peinture acrylique sur toile, 2020
Deux lettres de cet alphabet.
En apposition.
Imparfaites équerres,
elles cherchent l’alignement,
se trouvent, en phase désaxée.
L’ampleur des pièces accentue la tension.
Mouvante résolution.
4. 207 P
[2 angles avec entas distants alignés formants demi quasi carré]
peinture acrylique sur toile, 2020
Deux lettres de cet alphabet.
En confrontation.
Équerres approximatives,
elles dressent des frontières.
Le diptyque ouvre l’espace du blanc.
La taille des pièces en amplifie l’écoulement.
Dispersion cadrée.
5. 201 V 3111
[de guingois 20]
Installation smartphone – enceinte bluetooth – vidéo 5mn12s, 2020
Sur fond noir, un presque carré, blanc,
Qui devient un autre presque carré…
Les côtés se superposent ou pas
au jeu de l’aléatoire entasis.
Des quadrilatères en respiration, en spasmes.
Des flashs relancent la danse géométrique.
Hypnotique, le noir cadré par l’instable carré,
plus sombre, plus proche, plus profond,
bouscule l’orthonorme bancale.
Le flux d’une vague enfle et se replie,
s’invite dans la bande-son.
Ample, celle-ci colonise le white cube,
contamine l’ébriété des équerres accrochées.
Sur l’écran, la ronde minuscule et impérieuse pulse.
Leurre optique, approximations :
Naufrage de l’autoritaire et vétuste fiction…
Oscillations. Disparition.
6. 201R 0021+2+3 ABC
[oscillation de 9 angles avec entas]
polyptyque au carborundum sur zinc imprimé sur Papier BFK Rives, 2020
Neuf pièces prolongent le triptyque,
portent à douze les variations de ce jeu,
fixent les traces d’un tournoiement anguleux,
projettent la trajectoire d’un rigoureux chaos…
7. 206 P 1651
[quasi carré]
peinture acrylique sur toile, 2020
Carré ?
Les quatre toiles !
Qui juxtaposées forment un grand carré.
Les lignes d’ajustement affirment quatre secteurs égaux.
Sur chacun, une droite et sa perpendiculaire avec entas.
Sur chaque côté du grand carré,
une droite engrossée d’un entas.
Les quatre carrés, les huit lignes
accouchent un pseudo-carré
noir et symétriquement gauchi.
Trouble, hypnotique et flottant.
Les médianes suggèrent l’amorce d’un tournoiement.
Vertige de la rigueur…
8. 201 IS 3110
[au cordeau]
croix tracée au cordeau, poudre de craie bleue, 2020
Point focal du white cube,
trace presque immatérielle,
une croix bleue tracée au cordeau.
Présence discrète et orthogonale :
l’infime absolu de la plupart des travaux de l’artiste.
Les dimensions sont celles du Modulor de Le Corbusier :
226 cm soit un homme le bras levé.
Coursive
9. 205 P 0511
[stipes et patibulum – crucifixion I / hommage à Matthias Grünewald]
peinture technique mixte et huile sur toile, 2020
Une verticale.
Elle partage la toile en deux parties inégales : la fente séparant les panneaux fermés de la crucifixion du Retable d’Issenheim des Unterlinden. Dans l’original, cette césure longe la stipes crucis (poutre verticale de la croix), ainsi celle-ci et le corps du Christ sont intégralement sur le panneau de droite (seul son bras droit est coupé par l’ouverture), la composition et le nombre de personnages instaurant l’illusion de symétrie.
Une presque horizontale.
Le haut de la toile reprend exactement la longueur – 213 cm – et la courbure du patibulum (la poutre horizontale de la croix où étaient cloués les bras).
La hauteur aux extrémités jusqu’au bas du panneau de la peinture de Grünewald est également de 213 cm.
Un presque carré. Avec l’entas du patibulum.
Qui entoure l’espace clos du drame, du crucifiement.
Le recadrage, la réappropriation révèle l’asymétrie.
Un monde en bascule.
La réinterprétation suggère la rigueur du tracé préalable
ordonnancé par la croix chez Grünewald
qui n’en est plus une chez Muckensturm.
La matière noire concentre ce deuil massif.
La vibration de l’anthracite est tombeau.
Sa substance subtile préserve des traces de vie.
Un condensé de toutes les crucifixions superposées
avec les larmes des pleurants
qui, au fil des siècles, ont colonisé la toile entière.
Un océan de larmes !
De larmes noires.
10. 201 P 0211 A-L
[angles avec entas formant quasi rectangle]
peinture acrylique sur toile, 2020
Douze toiles, carrées.
Sur chacune une droite,
parallèle au cadre, ou pas,
et sa perpendiculaire avec entas.
Les lignes s’aboutent,
accordent les toiles par deux ou trois,
ouvrent un jeu de surfaces
avec l’infra du mur d’accrochage.
S’esquisse un réseau :
alignements interrompus,
espaces reclus restant ouverts.
Circulation, articulation.
Comme un plan d’architecture
enfermant l’îlot blanc de la cloison.
11. 209 P 3112
[ordonnancement de 64 quasi carrés formés par 256 carrés avec entas]
peinture acrylique sur toile, 2020
12. 2010 P 3113
[compression de 81 carrés avec entas pour interstices et décalages]
peinture acrylique sur toile, 2020
13. 2012 P 3115
[4 carrés avec entas pour 2 interstices et un décalage]
peinture acrylique sur toile, 2020
14. 2011 P 3114
[oscillation de 81 carrés avec entas]
peinture acrylique sur toile et crayon, 2020
15. 201 SC 0151 A-Y
[organisation de carrés naturels]
sculptures grillagées / métal, peinture, clous, 2020
Le carré est sur deux registres.
La trame carrée du grillage,
la forme des pièces de la composition.
Sans ostentation, le volume s’invite.
Carrés chaotiques : triturés, tordus.
Irruption de l’organique, de l’aléatoire.
Le charbonné demeure.
La déformation bouscule l’épure.
La juxtaposition rétablit la rigueur.
Un damier de lacunes, ses jeux d’ombres,
en aérienne ronde-bosse.
Déstructuration raisonnée.
16. 2014 P 3117
[stipes et patibulum – crucifixion II / hommage à Matthias Grünewald]
peinture acrylique sur toile et crayon, 2020
17. 2016 P 3110
[oscillation de 84 carrés avec entas ordonnancés positionnés à 0°]
peinture acrylique sur toile et crayon, 2020
18. 204 P 0071 A-L
[horizontale basse – horizontale haute II]
peinture acrylique sur toile, composition 12 éléments, 2020
[cf. illustration du bandeau d’entête]
19. 195 S 1905 A-G
[2 rectangles avec entas sur ligne horizontale]
polyptyque au carborundum sur zinc imprimé sur Papier BFK Rives, 2019
20. 1910 P 07122 A + B
[prolongation d’entasis]
peinture acrylique sur toile, 2020
21. [PLUS OU MOINS DEUX VIRGULE DEUX DEGRÉS DE FANTAISIE ORTHOGONALE]
[oscillation de 81 carrés avec entas]
portfolio en coffret sérigraphié de 12 typographies imprimées sur Papier BFK Rives, 2020
22. 202 P 0051 A-H
[perdu d’avance]
peinture acrylique et carborundum sur panneaux bois, 2020
23. 196 J 17102 I + 196 J 17102 B + 196 J 17102 A
[imperceptible variation]
carborundum sur zinc imprimée sur Papier BFK Rives, 2019
24. 208 P 3111
[4 angles avec entas formant croix]
peinture acrylique sur toile, 2020
Dans l’entrée : 205 J 1801 + 205 J 1802
[entas vertical + entas horizontal]
diptyque au carborundum sur zinc imprimé sur Papier BFK Rives, 2020
Itinéraire de l’artiste
En parallèle à des études de géographie, Pierre Muckensturm découvre la peinture et commence à se former auprès de Jean Jérome qui enseigne l’art plastique à l’Université de Strasbourg. Une première période résolument figurative.
Un de ses collectionneurs et commanditaire, l’architecte Antoine Crupi l’initie au design, à l’architecture et, en 2004, lui fait découvrir Notre-Dame du Haut à Ronchamp. Le geste architectural de Le Corbusier est à la fois d’une grande audace et d’une relative simplicité. Des volumes francs dont l’insolente articulation préserve de subtils interstices qui tamisent la lumière, la subliment : dense et vaporeuse. Les masses se déploient en légèreté, les murs se gauchissent, se replient, s’enroulent en un délicat jeu de pleins et de vides… Une complexité qui naît d’une forme d’évidence et favorise l’irruption du sacré.
Cette tension rigoureuse où la rationalité sait transcender la raison jusqu’à l’immatériel sera une fulgurante révélation pour l’artiste qui abandonne la figuration. Et la légère courbure de la paroi orientale de la chapelle n’est pas sans rappeler celle des entas de l’exposition de 2020.
Dès lors il s’inscrit résolument dans l’art concret et revendique sa proximité avec François Morellet, Vera Molnár, mais aussi avec la radicalité et le minimalisme du nantais Martin Barré.
En 2010, une résidence au musée Boribana de Dakar le confrontera à l’Afrique et à sa temporalité d’une infinie souplesse qui influenceront aussi sa démarche.
À son retour en France, il entame un important travail de gravure. La logique de matrice, de répétition permettant le dialogue d’un élément avec lui-même, l’incite à explorer des propositions sérielles et à consolider sa pratique de l’art construit.
Ainsi, au fil des années, il multiplie les variations autour de thématiques comme ses Croix, ses Lignes Contenues, ses Carrés tronqués, etc. jusqu’à celles inspirées par l’Entasis qui ravivent comme sources d’inspiration l’architecture et ses conventions.