du 30 novembre 2019 au 8 mars 2020 (10–18h sauf lundi)
#Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle
#Strasbourg, Musée de l’Œuvre Notre-Dame / Arts du Moyen Âge
Hans Baldung Grien. Sacré | Profane
Né à Schwäbisch Gmünd en 1484 ou 85, Hans Baldung suit ses parents à Strasbourg où il entame sa formation de peintre (1492) avant de rejoindre l’atelier de Dürer à Nuremberg en 1503. Il y restera cinq ans, s’en voyant même confier la direction lors des absences du maître. Car Baldung Grien a un talent immense au service d’une peinture tourmentée par la Chute de l’Homme. Le très riche parcours de Karlsruhe en donne la mesure avec 250 œuvres dont 170 en prêt.
Du Chevalier, la Jeune Fille et la Mort1 autour de 1505 – il a vingt ans – aux Trois Âges et la Mort2 (1541-1544) vers la fin de sa vie († 1545 ), il interroge le sens de ce moment fondateur de la Genèse (chap. III) : l’expulsion du paradis et la condamnation à la chair – sa fragilité, sa souffrance, sa finitude. La question hante son œuvre avec discrétion (les portraits, certaines Madones…) ou avec excès (Die Sintflut3, les sorcières…). L’époque l’y invite. On meurt jeune, le protestantisme remet en question les fondements de la foi et, à Strasbourg, les querelles interconfessionnelles sont vives. Sur le plan artistique, si Dürer est un peintre de la Renaissance, le gothique tardif avec ses gisants, ses transis, ses écorchés, ses pleurants n’est pas si loin attisant ses derniers feux avec Grünewald, Bosch…
La mort, visiteuse si importune
Directement issus des danses macabres, ses squelettes en quête de leur butin sont personnifiés avec encore des touffes de cheveux, de barbe, des lambeaux de peau, renvoyant au vif qu’il capture l’image de sa déliquescence imminente. Les corps, encombrés d’eux-mêmes, s’empoignent : des corps martyrisés du XVIe, mais saisis par la même énergie que chez Bacon et suscitant la même angoisse métaphysique.
Si, dans L’expulsion du paradis4 de Dürer, l’archange est presque l’égal des humains, chez Baldung Grien, il les domine de la taille et d’un geste qui incarne un fatum sans appel. L’attitude peut être émouvante – Thisbé découvrant Pyrame5 mort – ou dramatique – Hercule et Antée6 ou la débâcle du déluge (Die Sintflut3, 1516).
Les sorcières et les âges de la vie
Dans les sabbats de sorcières, thème récurrent de nombreuses gravures censées dénoncer la luxure et la perversion de l’Ève tentatrice, ses nues sont sans concessions et renvoient aux âges de la vie (autre série) plus proches des Vanités que de la sensualité teintée d’espièglerie d’un Cranach.
C’est le temps qui condamne la chair, pas la morale.
Les regards publics
Ses doutes ontologiques s’imposent même dans ses Madones où l’enfant Jésus n’a du bambin que la taille. Il est pleinement conscient de la crucifixion qui l’attend. L’interpellation est têtue avec ses moues, cet air de tristesse (La Vierge au pain7) malgré quelquefois des angelots consolateurs (La naissance du Christ8, 1539). Et ces regards publics si pénétrants : toi qui me regardes, c’est toi que je dois sauver ? Le mérites-tu ? Si la Vierge est souriante, l’enfant reste au mieux dubitatif, parfois endormi ou marque son hésitation à téter (Vierge à l’enfant avec perroquets9) et grandir jusqu’à ce corps d’homme qui sera martyrisé !
Son air mature fait surgir ces dépositions de croix où son corps d’adulte est disloqué par le poids de la chair, de l’agonie, de la mort10.
Même certains portraits fixent le visiteur et semblent plus troublés qu’autoritaires (Philippe le Vaillant11, 1517, ou Georg, comte d’Erbach12, 1533).
Un notable strasbourgeois
En 1507, il retrouve Strasbourg qu’il ne quittera que pour un séjour à Fribourg-en-Brisgau (1513-1516) où il réalisera entre autres le maître-autel de la cathédrale (avec Le couronnement de la Vierge13 en panneau central).
Le musée de l’Œuvre Notre-Dame prête à Karlsruhe ses cinq peintures, mais présente la démarche de restauration en cours de La Lapidation de Saint-Étienne14 partiellement brûlée en 1947 et documente le contexte strasbourgeois de la réforme, de la querelle des images qui a asséché les commandes de beaucoup de ses confrères. Il consacre surtout deux salles aux gravures de son fond (21, certaines présentes à Karlsruhe). Notamment trois combats de chevaux15 : une métaphore des affrontements entre humains ? Et, puisque les animaux aussi se battent entre eux, une mise en doute du péché originel ?
Le palefrenier ensorcelé17 (vers 1544) – œuvre réputée testamentaire – clôture la série. La représentation en raccourci de la dépouille mène notre regard vers le cheval qui s’apprête à se détourner. Entre les deux, sur la droite, une sorcière : incarnation du péché…
Et si Dieu, avant de créer l’Homme, s’était abstenu de créer le mal ?
Hans Baldung Grien. Sacré | Profane
Staatliche Kunsthalle Karlsruhe
Hans-Thoma-Strasse 2–6 / 76133 Karlsruhe
entrée 12 €, réductions habituelles
catalogue en allemand et en français, 39,90 €
Regards sur Hans Baldung Grien
Musée de l’Œuvre Notre-Dame
3, place du Château / 67000 Strasbourg
entrée 4 €, réductions habituelles
HANS BALDUNG GRIEN. Entre christianisme et paganisme / Frank Muller, Éditions du Signe, 30 €
photo d’entête : Maria mit Kind und Papageien (1533, détail)
1/ Reiter mit Frau und Tod, vers 1498-1508 (huile sur panneau de tilleul, 35,5 x 29,6 cm, musée du Louvre, Inv. Nr.RF 2467)
2/ Die drei Lebenshalter und der Tod, 1541-1544 (huile, 151 x 61 cm, Museo del Prado, Madrid) ;
Die drei Sterbealter der Frau und der Tod, copie de la fin du XVIe (?) (huile sur toile, 92 x 75,5 cm, musée des Beaux-Arts, Rennes, Inv. 794.1.13)
3/ Die Sintflut, 1516 (huile sur panneau de tilleul, 81,9 x 65,2 cm, Museen der Stadt Bamberg, Inv. n° 2)
4/ Die Vertreibung aus dem Paradies, vers 1514 (gravure sur bois, 22 x 15,5 cm, Departements of drawning and Prints, The Metropolitan Museum of Art, New York, Inv. n° 32.64.4)
5/ Pyramus und Thisbe, vers 1530 (huile sur panneau de tilleul, 63 x 67 cm, Gemäldegalerie Alte Meister, Museumlandschaft Hessen Kassel, Inv. Nr.GK 7)
6/ Herkules und Anthäus, 1531 (huile sur panneau de tilleul, 153,5 x 66,2 cm, Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin, Inv. 1875)
7/ Die Muttergotte mit dem Brot, 1520 ou 30 (huile sur panneau de noyer (?), 102,3 x 72,6 cm, Museo Franscesco Borgogna, Vercelli, Inv. Nr 196, X, 178)
8/ Die Geburt Christ, 1539 (huile sur résineux, 103 x 77,5 cm, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe, Inv. n° 90)
9/ Maria mit Kind und Papageien, 1533 (huile sur panneau de tilleul, 91,5 x 63,3 cm, Germanisches Nationalmuseum, Nürnberg, Inv. n° GM 1170, détail)
10/ Der Leichnam Christi, von Engeln in Wolken getragen, 1515-17 (gravure sur bois, 22,3 x 15,3 cm, Kupferschnittkabinett, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe, Inv. n° 1957-27) ;
Christus als Schmerzensmann, von Maria un Engeln beweint, 1513 (bois de tilleul, 57,5 x 41 cm, Augustinermuseum, Städtische Museen Freiburg) ;
Die Beweinung Christi, 1515/17 (gravure sur bois, 22,3 x 15,6 cm, National Gallery of Art, Washington, Inv. Nr 1949.5.90))
11/ Bildnis des Pfalzgrafen Philipp der Streitbare, 1517 (huile sur panneau de tilleul, 41,5 x 30,8 cm, Bayerische Stattsgemäldesammlungen, Alte Pinakothek, München, Inv. n° 683)
12/ Bildnis des Grafen Georg I. zu Erbach, 1533 (bois, 92 x 71 cm, collection privée)
13/ Marienkrönung, flankiert von zwölf Aposteln, 1516 (huile sur bois, 293 x 232,5 cm, Münster Unseren Lieben Frau, Freiburg)
14/ La Lapidation de Saint-Étienne, 1522 (huile sur toile marouflée sur bois, 174 x 149 cm, Musées de Strasbourg)
15/ Sept chevaux sauvages dans une forêt, 1534 (21,6 x 31,9 cm & 22,5 x 33,4 cm) & Six chevaux sauvages dans une forêt, 1534 (22,5 x 33,8 cm, gravures sur bois, Inv. 77.005.0.93, 77.004.0.16 & 77.004.0.16, Cabinet des Estampes et des Dessins, Strasbourg)
16/ Der behexte Stallknecht, vers 1544 (gravure sur bois, 34,1 x 19,9 cm, Kupferschnittkabinett, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe, Inv. n° 1958-13)
Parution papier :
Hebdoscope, n° 1067, janvier 2020